Qu’est-il arrivé à la Gauche néerlandaise?

Par Matthijs van Wolferen.

A travers le monde occidental, le pronostic vital de « La Gauche » semble engagé. Rassurez-vous : dans les Pays-Bas, il est encore trop tôt pour organiser les funérailles. Bien que nous soyons connus dans le monde pour notre attitude libérale et permissive envers la vie en société (ce qui n’est pas la même chose que d’être tolérant et relève davantage du marketing que de la réalité), les Pays-Bas n’ont jamais vraiment connu une révolution de gauche, silencieuse ou autre.

Si notre Etat-providence et notre économie ont toujours été gérés de manière pragmatique, c’est sans doute dû à deux principes bien de chez nous : au « verzuiling » – une forme modérée de communautarisme social et religieux qu’on appelle parfois la « pilarisation » de la société – et le « poldermodel », qui renvoie à un système hautement procédural de construction de consensus dans la gouvernance du pays.

Bien que le « verzuiling » soit déjà ancien, le paysage politique ne s’en est pas beaucoup éloigné. Toutes les évolutions qu’on a pu observer depuis les années 80 se sont grosso modo faites au sein du système. De nouveaux partis ont émergé, mais ils se sont positionnés dans l’échiquier gauche-droite et en fonction des fameux « piliers ». Même l’arrivée du « D66 », qui promouvait un changement de système, a vite été intégré dans l’échiquier en tant que quintessence d’un parti centriste. Le « D66 » est peut-être l’exemple le plus parlant du flegmatisme avec lequel la classe politique néerlandaise digère des changements inattendus.

Pim Fortuyn, aujourd’hui vénéré presque comme un héros.

Pim Fortuyn a mis fin à tout cela. Ce politique, assassiné en 2002, a désormais presque atteint la sainteté dans la culture politique néerlandaise. Il est l’homme qui osa se dresser contre « l’appareil de La Haye ». Les gouvernements qui précédaient son apparition avaient pourtant très bien réussi à engager le progrès sur les plans économique, social, environnemental et culturel. Composés d’un mix de partis libéraux et socialistes et mettant en œuvre une politique centriste et progressiste, ils étaient surnommés « les cabinets pourpres ». De l’opposition, il n’y en avait guère. Normal : les politiques « pourpres » étaient suffisamment progressistes pour les libéraux, suffisamment sociales pour les rouges, et le sécularisme ambiant mettait les partis chrétiens sur la touche.

Pim Fortuyn a été le premier à déceler des fissures dans cette bâtisse. Pendant que l’élite politique se complaisait un peu trop dans sa réussite, les immigrés nombreux – travailleurs et demandeurs d’asile –s’avérèrent finalement pas si bien intégrés dans la société. Fortuyn créa une plateform pour la colère qui commençait à gronder. Son parti, le LPF, était inqualifiable de structure de la culture politique néerlandaise. Très à droite dans les politiques étrangères et migratoires, mais prônant des politiques de redistribution qu’on avait l’habitude de ne voir que dans les programmes les plus à gauche. En promettant de mettre dans le gouvernement « des personnes avec de l’expérience professionnelle », et en se réclamant du « peuple » plutôt que d’un des « piliers », Fortuyn créa le premier mouvement « anti-establishment » durable.

A partir de 2001, le clivage gauche-droite perdit son utilité en tant qu’outil analytique, voire même en tant que repère, alors que le système continue à avoir du mal à concevoir que des partis puissent exister en dehors du cadre habituel. Suite à l’essor et au déclin du LPF, d’autres challengers ont émergé, chacun avec son propre mix de politiques de gauche et de droite. La plus belle illustration est bien sûr le « successeur » de Fortuyn, Geert Wilders et son Parti de la Liberté (PVV). Avec son agenda construit sur un socle xénophobe et anti-élitiste, ce libéral économique éloquent (un disciple de l’ancien Commissaire européen Bolkestein) tourmente autant le VVD libéral que la gauche des partis socialise (SP) et travailliste (PvdA). Dans leurs efforts de s’adapter, ces partis traditionnels adoptent des positions qui leur paraissaient autrefois inacceptables. Le VVD découvre l’ordre et la répression, le SP redécouvre ses racines socialistes au point de devenir réactionnaire, et le PvdA cherche désespérément une réponse crédible.

Qu’est-il donc arrivé à « La Gauche » ? La vérité est qu’avant Fortuyn, l’ancien système avait fait adopter à travers tout le spectre politique des normes qu’on aurait qualifié de « gauchistes » dans d’autres pays. Le déclin des Socialistes est avant tout dû au fait qu’ils n’avaient plus de grande cause à défendre après avoir vu la quasi-totalité de leur agenda mis en œuvre durant les années 80. Et même les partis de la démocratie chrétienne prônent l’Etat-providence développé et bien organisé.

Mais la gauche n’est pas morte. Aux Pays-Bas, bien qu’elle n’ait jamais tenu toute seule les rênes du pouvoir, ses valeurs sont devenues une part intégrale de la culture politique. Même après la disparition des démarcations traditionnelles suite au travail de sape de Fortuyn et de Wilders, la pensée et la culture progressistes et socialistes se trouvent partout dans la société a des degrés variables. On n’a juste pas le vocabulaire pour décrire cet état de fait.

Les fameuses « élite gauchistes », ces « bobos » aisés et urbains qui votent pour des politiques sociaux-démocrates n’existent pas vraiment. Elles relèvent en fait davantage de l’épouvantail dressé par les populistes afin de fournir aux gens un peu perdus un objet pour leur colère et leur indignation. La vraie question que posent ces élections sur l’avenir des Pays-Bas est plutôt celle de la réorganisation de notre système politique maintenant que « gauche » et « droite » ne veulent plus dire grand-chose. Le « verzuiling », qui a si bien marché pendant des décennies, se transformera-t-il en une forme de sectarisme marqué par des politiques identitaires ?

L'auteur

Matthijs van Wolferen

Doctorant à la Faculté de Droit de l'Université de Groningen. Sa recherche porte sur la protection judiciaire au sein de l'Union européenne. Il s'intéresse aussi au droit environnemental européen. A l'occasion des élections générales aux Pays-Bas, Matthijs a accepté de contribuer aux "Mails d'Europe" de l'EU-Asia Institute de l'ESSCA Ecole de Management.

Doctorant à la Faculté de Droit de l’Université de Groningen. Sa recherche porte sur la protection judiciaire au sein de l’Union européenne. Il s’intéresse aussi au droit environnemental européen.

A l’occasion des élections générales aux Pays-Bas, Matthijs a accepté de contribuer aux « Mails d’Europe » de l’EU-Asia Institute de l’ESSCA Ecole de Management.

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