Matches amicaux, rencontres de paix : trois sur mille

Le calendrier du football international n’arrête pas de se densifier, ce qui réduit considérablement le nombre des matches hors compétition qu’on appelle traditionnellement les « matches amicaux ». Cette évolution est saluée par ceux pour qui « les matches amicaux ne servent à rien », faute d’enjeux sportif.

 

C’est une erreur, car ces matches sont d’abord des rencontres, et si beaucoup d’entre elles sont parfaitement anodines, elles n’en ont pas moins un caractère symbolique. Jouer avec l’autre, c’est un acte d’échange, de partage, de confiance. C’est l’affirmation de l’égalité devant des règles communes sans lesquelles le jeu serait dépourvu de sens. Et dans le cas du football, si souvent comparé à un « simulacre de guerre » et dont le vocabulaire reste truffé d’expression guerrières, c’est aussi une profession de paix.

 

L’Allemagne s’apprête à jouer le millième match de son histoire. Ce n’est pas rien. En Europe, il n’y a que l’Angleterre qui a fait mieux (elle en est à 1043), mais elle avait commencé 26 ans plutôt, en 1872, avec la première rencontre « internationale » contre l’Ecosse.

 

Quand l’Allemagne s’est dotée d’une sélection nationale, en 1908, elle était encore un empire prussien (ce qui explique d’ailleurs les couleurs noir et blanc de son maillot). Depuis, son équipe a été, plus souvent qu’à son tour, surchargée de portée symbolique. Non seulement dans les nombreuses compétitions internationales où elle s’est plutôt bien débrouillée, mais aussi dans certains « matches amicaux », organisés explicitement sous le signe de la paix.

Trois d’entre eux méritent particulièrement qu’on s’y arrête.

 

 

Soif de reconnaissance

 

 

Le premier est le match numéro 199. Il a eu lieu le 22 novembre 1950.

C’est la Suisse qui est la première à accepter de venir jouer un « match amical » dans un pays banni du football international depuis de longues années, exclu de la première Coupe du monde de l’après-guerre. Il fait un temps exécrable à Stuttgart, mais dans l’arène conçue pour accueillir 60 000 spectateurs – et qui, quelques années auparavant portait encore le nom de « Stade Adolf Hitler » – se tassent 110 000 personnes, jusqu’aux lignes de touche tout autour du terrain.

Sur le plan sécuritaire, c’est carrément irresponsable de lancer le match, mais la soif collective de cette reconnaissance symbolique d’une réintégration dans la communauté internationale est trop forte. Comme si la naissance d’une nouvelle République, un an auparavant, était enfin suivie par son baptême.

 

 

Besoin de détente

 

 

Cinq ans plus tard, le match numéro 230, se déroule en plein été, le 21 août 1955.

Tout a changé : la République fédérale est non seulement en train d’accomplir son « miracle économique » de l’après-guerre, mais son équipe a même remporté, à la surprise générale, la Coupe du monde 1954 en Suisse. La guerre froide a poussé l’OTAN à mettre en œuvre l’adhésion de l’Allemagne de l’Ouest, et, par conséquent, à lui permettre, dès le mois de mai 1955, un début de réarmement.

 

Il reste cependant une vraie interrogation : que deviendront les 15 000 prisonniers de guerre, soldats et civils, qui sont toujours retenus dans des camps de travail en Union soviétique, dans des conditions pour le moins « problématiques » ?

 

Le chancelier Konrad Adenauer s’apprête à aller au Kremlin pour demander leur libération. Et c’est là, juste en amont de son voyage, que le football tâte le terrain, avec un match amical des champions du monde à Moscou. Comment vont réagir les spectateurs russes ? Eh bien, ils finissent par réserver un accueil chaleureux aux deux sélections qui entrent sur le terrain en leur remettant des bouquets de fleurs.

 

 

 

Match URSS – Allemagne de l’Ouest, 1955

 

 

Il n’y a aucun incident à déplorer, bien au contraire. Le Kremlin et la Chancellerie sont rassurés, la visite aura lieu, les négociations aboutiront. Entre octobre et janvier, tous les prisonniers rentrent chez eux.

 

 

Boulganine, Adenauer et Khrouchtchev, 1955

 

 

Affirmation de solidarité

 

 

Le match numéro 1000 aura lieu le 12 juin prochain, à Brème. Pour marquer ce moment exceptionnel dans une histoire vieille de 115 ans et jalonnée d’événements gravés dans la mémoire collective populaire, la fédération allemande a eu l’élégance d’inviter l’Ukraine, pays dont un million de citoyens sont actuellement hébergés en Allemagne. Ce choix a été fait, selon son président Bernd Neuendorf, « afin d’envoyer un signal clair en faveur de la paix et de l’entente entre les peuples et contre la guerre ».

 

Il y a quelques jours, je suis tombé sur Andriy Chevtchenko, la légende du football ukrainienne, Ballon d’Or 2004, de passage à Paris. A ma question de savoir ce qu’il pensait de cet événement, il m’a répondu que « peu importe si c’est le 1000ème match ou le 990ème, ce qui compte dans notre situation est que les recettes seront versées à des associations sociales et humanitaires qui œuvrent en Ukraine ».

 

Il n’a pas entièrement tort : l’organisation d’un match de football, aussi symbolique soit-il, ne permet pas de gagner un conflit armé contre un agresseur puissant. En même temps, cette invitation à une rencontre « amicale » non dépourvue de prestige et de solennité, rend accessible un engagement de solidarité qui, lui, est indispensable pour la nation à laquelle il est adressé.

 

Comme quoi, les matches amicaux, après tout, peuvent servir à quelque chose.

L’Europe, l’Allemagne, l’Ukraine

 

Sur invitation de l’Espace Cosmopolis, UNIPAIX a participé, le 3 mai 2023, à un échange sur la réaction de l’Union européenne à l’agression de l’Ukraine, en compagnie de Valérie Drezet-Humez, cheffe de la Représentation en France de la Commission européenne, rencontre animée par Michel Catala.

 

Albrecht Sonntag, sollicité pour aborder plus particulièrement l’évolution des attitudes au sein de la société allemande, « biberonnée depuis des décennies au pacifisme et actuellement en sevrage difficile », est revenu sur l’événement dans son éditorial hebdomadaire pour Euradio. Il a notamment été frappé par l’utilisation, à la fois par Mme Drezet-Humez et par le public lors du débat très animé qui a suivi les interventions, du terme « ennemis », au pluriel, en évoquant la situation de l’Europe dans un monde en mutation.

 

Son billet est à lire ou à écouter sur Euradio.

 

Auteur

Albrecht Sonntag

Albrecht Sonntag

Albrecht Sonntag est membre d’Alliance Europa. Il est professeur d’études européennes à l’EU-Asia Institute de l’ESSCA Ecole de Management (Angers).

Albrecht Sonntag est membre d’Alliance Europa. Il est professeur d’études européennes à l’EU-Asia Institute de l’ESSCA Ecole de Management (Angers).

Albrecht Sonntag est à l’origine du Multiblog Alliance Europa et a dans ce cadre animé un atelier « Blogging : Pourquoi et Comment ? » à destination des doctorants.

Il a également été un des organisateurs du Colloque sur l’impact du Brexit sur les Pays de la Loire et de la journée sur la contribution du sport à l’intégration des migrants et réfugiés en Europe.

1/3 : Comment avez-vous fait ?

Le 22 janvier 2023, la France et l’Allemagne célèbrent le 60e anniversaire du Traité de l’Élysée, salué à juste titre comme un jalon dans l’histoire de l’Europe d’après-guerre. Mais le traité n’a fait qu’institutionnaliser au niveau gouvernemental un processus de réconciliation que la société civile avait déjà initié sans attendre les politiques. Ce billet est le premier d’une série de trois réflexions personnelles sur une évolution remarquable.

 

Quand je pars courir autour de chez moi, j’ai plusieurs options sympathiques. Je peux descendre le petit Chemin de la Libération jusqu’au pont qui traverse la Maine, juste avant qu’elle ne se jette dans la Loire. Le pont, de manière plutôt cohérente, s’appelle « Pont de la Libération ». Pour ceux qui se demanderaient « libération de quoi au juste ? », plusieurs plaques et stèles commémoratives rafraîchissent la mémoire, rappelant comment le résistant Louis Bordier a guidé les troupes du général Patton en août 1944 vers la libération de la ville d’Angers, et comment 108 soldats américains ont perdu la vie dans cet assaut.

 

Mais je peux aussi opter pour une boucle de 10 km autour de l’étang Saint Nicolas, près du campus principal de l’ESSCA. Ce qui va m’obliger à traverser l’avenue Patton, en passant par la borne historique de la « Route de la liberté », puis par le quartier Beaussier, où tout, du boulevard principal à la toute nouvelle station de tramway en passant par la brasserie, le pôle santé et le Super U, porte le nom de Victor Beaussier, exécuté par les nazis en octobre 1942 à l’âge de 31 ans, pour avoir distribué des tracts de résistance et saboté des véhicules et des lignes téléphoniques.

Monument aux Fusillées, Angers

 

Et en longeant les rives de l’étang, je passerai forcément par le « Monument aux Fusillés », qui commémore l’exécution d’un total de 46 résistants entre 1942 et 1946.

 

Je pourrais continuer ainsi pour un bon moment, en mentionnant par exemple l’adresse postale de la mairie d’Angers, boulevard de la Résistance et de la Déportation, ou le panneau installé à la gare d’Angers qui me rappelle, à chaque fois que j’y vais chercher un visiteur, que 824 hommes, femmes et enfants juifs sont partis d’ici pour Auschwitz le 20 juillet 1942.

 

Pour quiconque vit dans une ville française, il est impossible d’échapper à la présence de la mémoire dans la vie quotidienne. Et pour celui dont le père a occupé une ville française en 1940 dans un uniforme qu’ils l’ont fait endosser dès sa sortie du lycée, le fait que les Français aient pu tendre la main aux Allemands dans l’immédiat après-guerre reste un mystère.

Comment avez-vous fait ?

 

Mais comment avez-vous fait ? Comment avez-vous vécu à côté tous ces cimetières que les Allemands ont laissés sur votre sol, tout en surmontant le chagrin et le ressentiment ? Comment avez-vous atteint un état d’esprit dans lequel, sans oublier l’inoubliable et sans avoir besoin de pardonner l’impardonnable, vous étiez prêts à donner la permission aux acteurs de la société civile et aux entrepreneurs politiques d’imaginer un avenir commun dans une Europe différente ? Comment avez-vous décidé collectivement qu’il était temps de briser un cercle vicieux apparemment incassable ?

 

Étiez-vous simplement épuisés, si fatigués des guerres à répétition, de la haine mutuelle et du revanchisme obligatoire que les anciens schémas de pensée n’avaient tout simplement plus de sens ?

 

Votre perception des Allemands était-elle atténuée par votre propre mauvaise conscience pour avoir collaboré avec l’occupant dans de vastes pans de la population, et pour avoir senti à quel point vous étiez vous-même vulnérables au fascisme ?

 

Ou bien avez-vous simplement eu de la chance ? La chance d’avoir les bonnes personnes aux commandes au bon moment ? La chance d’avoir non seulement Charles de Gaulle, qui, au lieu de cultiver une germanophobie bon marché, a donné la priorité à sauver votre honneur et à reconstruire un pays détruit, avant de claquer la porte, dégoûté par la politique au ras-des-pâquerettes que la démocratie retrouvée imposait ? Mais aussi la chance d’avoir les gardiens moins glamoureux de la IVème République, beaucoup plus efficaces que ne le suggère leur réputation galvaudée de politiciens de « l’instabilité gouvernementale » ?

 

Il est vrai que vous avez eu des intellectuels visionnaires, comme Joseph Rovan, qui en octobre 1945, quelques mois seulement après avoir été libéré du camp de concentration de Dachau, a écrit un article courageux dans l’influent mensuel Esprit, dans lequel il expliquait pourquoi, à court et moyen terme, la France aurait « l’Allemagne de nos mérites ».

 

Vous aviez aussi de bons amis à l’étranger, comme Winston Churchill, qui, dans son discours de Zurich en septembre 1946, a déclaré qu’un « partenariat entre la France et l’Allemagne » était une condition préalable aux retrouvailles de la « famille européenne ». En 1946 ! Ou George Marshall, dont le plan de redressement, mis en œuvre par l’« Organisation européenne de coopération économique » nouvellement créée, vous obligeait dès 1948 à vous asseoir à la même table que les Allemands de l’Ouest, qui n’avaient même pas encore leur République.

 

Esprit – Edition d’octobre 1945

 

Et vous aviez des promoteurs de la paix pragmatiques comme Robert Schuman et Jean Monnet. Pour ce dernier, la question de savoir comment établir une confiance mutuelle entre Français et Allemands malgré ce passé émotionnellement pollué, était une ligne directrice essentielle de son action politique, comme le montre la biographie de Klaus Schwabe de 2016, la première en langue allemande. Le mémorandum Monnet du 3 mai 1950 affirme la nécessité d’« entreprendre une action dynamique qui transformera la situation allemande et relèvera les esprits allemands ». C’est ainsi que l’on parle d’un allié, pas d’un ennemi. Et la déclaration Schuman, six jours plus tard, annonce que « la France accomplit le premier acte décisif de la construction européenne, en association avec l’Allemagne ».

 

Lorsque Schuman et Monnet ont tendu la main à l’Allemagne, moins de six ans s’étaient écoulés depuis la libération du petit pont situé à quelques pas de mon domicile. Si ce n’est pas un phénoménale exploit historique, qu’est-ce que c’est ?

 

Cela aurait-il été possible si l’humeur de la population était restée marquée par le chagrin, l’amertume et le ressentiment ? J’en doute. Bien sûr, il n’y a pas eu d’enthousiasme franc et massif pour de nouveaux liens avec l’Allemagne. Mais il y avait une sorte de volonté tacite de se laisser entraîner par les voix mentionnées ci-dessus. Contrairement à la chronologie proposée par Churchill – la réconciliation d’abord, en tant qu’élément constitutif d’une future Europe – la recherche suggère que le rapprochement franco-allemand et les premiers pas vers l’intégration européenne se sont mutuellement entraînés. Mai 1950 apparaît presque comme un point de basculement en termes d’engagement, un « ouvre-boîte » dans les mains des acteurs de la société civile qui n’attendaient qu’un « acte audacieux », pour citer à nouveau Schuman.

 

Les deux billets suivants tenteront d’explorer davantage ce tournant de l’après-guerre à travers deux études de cas différentes : tout d’abord, l’histoire du cimetière militaire allemand de La Cambe, situé sur les plages du Débarquement en Normandie. Ensuite, la naissance du jumelage des villes, grâce au courage d’une poignée de maires.

Auteur

Albrecht Sonntag

Albrecht Sonntag

Albrecht Sonntag est membre d’Alliance Europa. Il est professeur d’études européennes à l’EU-Asia Institute de l’ESSCA Ecole de Management (Angers).

Albrecht Sonntag est membre d’Alliance Europa. Il est professeur d’études européennes à l’EU-Asia Institute de l’ESSCA Ecole de Management (Angers).

Albrecht Sonntag est à l’origine du Multiblog Alliance Europa et a dans ce cadre animé un atelier « Blogging : Pourquoi et Comment ? » à destination des doctorants.

Il a également été un des organisateurs du Colloque sur l’impact du Brexit sur les Pays de la Loire et de la journée sur la contribution du sport à l’intégration des migrants et réfugiés en Europe.

2/3 : Vivre avec le cimetière

Le 22 janvier 2023, la France et l’Allemagne célèbrent le 60e anniversaire du traité de l’Élysée, salué à juste titre comme un jalon dans l’histoire de l’Europe d’après-guerre. Mais le traité n’a fait qu’institutionnaliser au niveau gouvernemental un processus de réconciliation que la société civile avait déjà initié sans attendre le politique. Ce billet est le deuxième d’une série de trois réflexions personnelles sur une évolution remarquable.

La Cambe est un petit village situé sur le littoral de Basse-Normandie, qui compte 546 habitants. Vivants, c’est-à-dire. Ils cohabitent avec plus de 21 000 soldats allemands enterrés dans le cimetière militaire qui couvre sept hectares de leur commune. Ils font partie des 155 000 soldats tués entre le débarquement des troupes alliées le 6 juin 1944 et la fin des combats en Normandie, environ trois mois plus tard. L’histoire de ce lieu est une étude de cas intéressante qui permet de comprendre pourquoi la réconciliation franco-allemande a pu se réaliser comme elle l’a fait.

 

Lorsque le département du Calvados a engagé des travaux sur la route nationale 13 entre Caen et Cherbourg au milieu des années 1990 pour en faire un axe à 2×2 voies, il a dû la dévier légèrement à certains endroits. C’est ainsi que le cimetière militaire de La Cambe s’est soudainement retrouvé séparé de la route principale par une bande de terre de 100 mètres remplie de déblais provenant des travaux routiers.

 

Les autorités ont offert ces mètres carrés supplémentaires au Volksbund Deutsche Kriegsgräberfürsorge, une association caritative de longue date qui s’occupe des tombes de guerre et identifie les personnes enterrées sur tout le continent. L’idée a été lancée de créer un petit centre d’information et de documentation ainsi qu’un « jardin de la paix » composé d’arbres parrainés par des particuliers ou des organisations, dans le but à la fois d’aménager agréablement la butte des déblais et de générer des revenus qui seraient investis dans les cimetières d’Europe de l’Est, devenus tout d’un coup aisément accessibles au début des années 90.

 

Le parrainage d’un arbre a été provisoirement fixé à 500 D-Mark (250 euros). Chaque arbre serait doté d’un petit panneau vert sur lequel seraient inscrits la date et le nom du parrain, ainsi que deux lignes de texte. L’une de mes étudiantes de deuxième année de l’école de commerce du Havre était partante pour faire un stage d’été sur le site pour réaliser une « étude de marché » : avec son petit questionnaire, elle testait simplement l’idée et la gamme de prix auprès des visiteurs. Elle a eu un écho extrêmement positif, beaucoup de personnes voulaient réserver tout de suite. Par conséquent, l’idée a donc été mise en œuvre.

 

Le 21 septembre 1996, les 21 premiers érables ont été plantés lors de l’inauguration du jardin de la paix. Il y avait de la place pour un total de 235 arbres. En novembre, le jardin était déjà complètement surbooké, ce qui a incité les autorités françaises à accorder l’utilisation d’une autre butte de déblais à côté de la nouvelle bretelle d’autoroute, et pendant qu’elles y étaient, elles ont également offert toute l’allée le long de la petite route en cul-de-sac entre la bretelle et le cimetière. Au début de 1998, le jardin était rempli de 1 127 arbres. Aujourd’hui, le cimetière attire environ 100.000 visiteurs chaque année, et depuis 2019, l’exposition du petit centre d’information a été remarquablement bien renouvelée et mise à jour.

 

Au XXIe siècle, la facilité des échanges entre une association caritative allemande et les autorités françaises ne constitue pas une grande surprise. Ce qui est plus étonnant, c’est la tolérance tranquille de tous ces corps ennemis dans le sol français dans l’immédiat après-guerre et durant les années qui ont suivi. Selon les archives, aucun incident de protestation, et encore moins de vandalisme, n’a été noté, à aucun moment. Pourtant, il y aurait eu de bonnes raisons pour s’indigner, puisque le cimetière contient non seulement les restes de gamins de 17 et 18 ans, envoyés au front pour donner leur vie au Führer, mais aussi plusieurs centaines de membres de la « Waffen-SS », ainsi qu’une poignée de véritables criminels de guerre, dont l’officier qui avait ordonné le massacre d’Oradour-sur-Glane, devenu un lieu de mémoire emblématique de la cruauté.

 

Évidemment, le Volksbund prenait soin de faire profil bas, tout en réfléchissant à la meilleure manière de gérer cette nécropole, l’une des cinq de Normandie. Dans une note interne de 1949, la conception future du cimetière est évoquée. Des « milliers de croix blanches », comme par exemple dans le cimetière américain de Saint Laurent/Colleville – celui qui a été rendu célèbre par le film de Spielberg « Il faut sauver le soldat Ryan » – situé à 15 km à l’est de La Cambe, étaient considérées comme une « solution insatisfaisante » dont « l’effet de masse » était à éviter absolument. L’option retenue était de petits groupes de cinq crois symboliques, au-dessus des innombrables pierres plates, discrètement insérées dans le sol, portant les noms des soldats enterrés.

 

La création de la République fédérale a, par la suite, permis des discussions intergouvernementales sur la question des cimetières de guerre. Une convention a été signée par le chancelier Adenauer et le président du conseil Pierre Mendès France en 1954, exprimant conjointement le souhait de rendre ces cimetières « permanents » et « d’assurer la dignité des tombes ». Les autorités françaises allaient soutenir l’organisation de la société civile désignée par le gouvernement allemand. La Cambe, comme de nombreux autres sites, s’est vu confier au Volksbund.

 

Dès 1957 – six ans avant la signature du traité de l’Élysée – il a donc été possible de lancer le réaménagement complet du cimetière. Des cars entiers de volontaires allemands et internationaux ont été acheminés au premier Camp International de Jeunes organisé sur le site. Les archives rapportent que de nombreux jeunes Français des communes aux alentours passaient par curiosité, avant de revenir le lendemain avec leur propre pelle pour aider pendant une semaine ou deux.

 

Le risque d’une réaction émotionnelle contre un tel monument allemand ne pouvait cependant jamais être totalement exclu. Le compte rendu d’un échange entre le Volksbund et le ministère français des Anciens Combattants et Victimes de Guerre avant une cérémonie d’inauguration officielle du cimetière paysager entièrement achevé en 1961, montre comment ce dernier insiste sur le caractère purement religieux et discret de l’événement, afin d’éviter tout incident embarrassant. Ce qui n’excluait pas une cérémonie bilatérale politique dans les salons de la Préfecture de Caen, associant des représentants de la société civile des deux côtés. On insistait aussi sur le fait que la bonne entente entre les officiels devait par tous les moyens être étayée par des contacts entre les visiteurs et la population locale.

 

 

La « réconciliation au-dessus des tombes » est devenue la devise du Volksbund et depuis, cette expression est entrée dans le vocabulaire courant grâce à d’innombrables discours et éditoriaux. Lorsque j’ai discuté avec les responsables du Volksbund pendant les travaux du jardin de la paix de La Cambe en 1995-1996, en essayant d’expliquer pourquoi un tel lieu n’avait jamais fait l’objet d’attitudes ouvertement négatives, nous évoquions le « caractère profondément humain et universel » d’une activité qui consiste à prendre soin de tombes, le profil bas des cimetières allemands, loin de tout discours héroïque, et le caractère résolument positif du « narratif de la paix ».

 

Mais La Cambe est aussi une étude de cas pertinente pour les conditions dans lesquelles une telle réconciliation peut se produire. Elle est rendue possible par la reconnaissance sans ambiguïté des méfaits d’un côté et la volonté de croire en sa sincérité de l’autre côté. Elle est facilitée par une fatigue écrasante et une compréhension partagée que le principe du « plus jamais ça ! » a besoin de réalisations concrètes pour avoir un sens. Et elle est grandement favorisée par la cohérence entre le travail de terrain d’en bas et l’orientation gouvernementale d’en haut. Il existe un lien direct entre la Déclaration Schuman et l’acceptation des soldats enterrés en terre normande.

 

Ceci étant dit, comme l’a écrit l’une de mes étudiantes américaines dans un essai rédigé après une excursion d’une journée sur les plages de Normandie, la réconciliation franco-allemande, même avant le traité de l’Élysée de 1963, « n’est rien de moins qu’un miracle ». Inutile de vous dire qu’elle a obtenu une excellente note.

Auteur

Albrecht Sonntag

Albrecht Sonntag

Albrecht Sonntag est membre d’Alliance Europa. Il est professeur d’études européennes à l’EU-Asia Institute de l’ESSCA Ecole de Management (Angers).

Albrecht Sonntag est membre d’Alliance Europa. Il est professeur d’études européennes à l’EU-Asia Institute de l’ESSCA Ecole de Management (Angers).

Albrecht Sonntag est à l’origine du Multiblog Alliance Europa et a dans ce cadre animé un atelier « Blogging : Pourquoi et Comment ? » à destination des doctorants.

Il a également été un des organisateurs du Colloque sur l’impact du Brexit sur les Pays de la Loire et de la journée sur la contribution du sport à l’intégration des migrants et réfugiés en Europe.

3/3 : Visionnaires, prudents et gagnants

Le 22 janvier 2023, la France et l’Allemagne célèbrent le 60e anniversaire du traité de l’Élysée, salué à juste titre comme un jalon dans l’histoire de l’Europe d’après-guerre. Mais le traité n’a fait qu’institutionnaliser au niveau gouvernemental un processus de réconciliation que la société civile avait déjà initié sans attendre le politique. Ce billet est le troisième d’une série de trois réflexions personnelles sur une évolution remarquable.

 

Y a-t-il une meilleure illustration de la dynamique d’en bas, partant de la société civile, de la réconciliation franco-allemande d’après-guerre que l’histoire des jumelages ?

 

Au moment où j’écris ces lignes, 2317 villes et villages français sont jumelés avec une commune allemande de taille similaire. Cela représente donc un total de 4634 lieux, grands et petits, qui ont des amis de l’autre côté de la frontière. Inimaginable ? Incroyable ? Époustouflant ? Vous choisirez l’adjectif qui convient le mieux.

 

Bien sûr, tous ces « partenariats », comme les appellent les Allemands, ne sont pas remplis de vie avec la même intensité. Dans les petites communes, beaucoup dépend d’individus infatigables, ainsi que de la démographie. Et des compétences linguistiques, qui ont diminué au cours des dernières décennies dans les deux pays en dehors des régions frontalières. Pourtant, le nombre de jumelages n’a jamais baissé. Il continue même de croître, quoi que, évidemment, à un rythme très modéré aujourd’hui.

 

Un panneau routier allemand dans l’ouest de la France.

 

Une fois encore, comme nous l’avons déjà observé dans les deux billets précédents (ici et ici), la société civile a précédé – ou ouvert la voie à – l’institutionnalisation politique. En même temps, l’initiative de la société civile a également été facilitée et légitimée par des actes politiques majeurs comme la Déclaration Schuman ou le Traité de l’Elysée.

 

Savoir que 130 communes françaises étaient déjà engagées dans des échanges amicaux avec leurs homologues allemands était forcément une information rassurante pour Charles de Gaulle, lorsqu’il programma sa première visite d’État en Allemagne en septembre 1962, deux mois après la cérémonie solennelle avec le chancelier Adenauer dans la cathédrale de Reims. L’accueil triomphal qu’il reçut dans les villes allemandes où il se rendit montra à la fois la gratitude de l’opinion publique pour ces actes symboliques et l’aspiration à de nouvelles étapes bilatérales de réconciliation, au-delà de la coopération économique inscrite dans le Traité de Rome.

 

Avant de décoller en France, les jumelages d’après-guerre ont d’abord été une idée anglaise. Dès 1947, Bonn et Oxford, Düsseldorf et Reading, Hanovre et Bristol ont noué des contacts officiels.

 

Les Français avaient besoin d’un peu plus de temps et d’un bon médiateur. Ce dernier fut trouvé dans un groupe d’intellectuels suisses, à savoir l’association des écrivains de Berne. En 1948, ils ont invité quelques maires français et allemands à ce que l’on appellerait sans doute aujourd’hui une « kick-off meeting » au Mont Pèlerin, sur le lac Léman. Comme le souligne Corine Defrance, historienne majeure de l’histoire contemporaine franco-allemande, la société civile française a été mue d’abord « de l’extérieur (la Suisse) et d’en haut (les intellectuels) ».

 

La troisième réunion de ce type a été la bonne. En juin 1950 – notons : juste après la déclaration Schuman – Stuttgart accueillait trente maires de chaque pays, parmi lesquels beaucoup d’anciens résistants, dépositaires d’une grande légitimité.

 

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Lucien Tharradin

 

Le principal moteur de l’idée du jumelage est Lucien Tharradin, ancien prisonnier de guerre, déporté à Buchenwald, puis maire de Montbéliard, dans le Doubs. Il a convaincu son homologue de Ludwigsburg (Bade-Wurtemberg) de lancer un partenariat informel, sous le prétexte d’affinités historiques vieilles de plusieurs siècles.

 

Tharradin était bien conscient des difficultés qui subsistaient pour obtenir le soutien d’une majorité de citoyens. Dans un rapport sur la réunion de Stuttgart, il concédait que « naturellement, les plaies de cette horrible guerre ne sont pas encore effacées. Trop de mauvais souvenirs restent dans les cœurs. La route est longue et de rudes pentes sont à remonter. » Mais cela n’a pas entamé sa confiance dans son initiative : « Les Allemands que j’ai rencontrés (…) nous demandent de les aider à consolider leur démocratie. Je suis absolument certain de leur bonne volonté. »

 

Montbéliard et Ludwigsburg ont été les premiers de ce qui est devenu une très longue liste. Mais ils n’ont pas été massivement imités tout de suite. De nombreux maires français ont préféré attendre prudemment avant de demander à leur conseil municipal l’autorisation d’engager des contacts en vue d’un jumelage. Ce n’est que dans les années 1957 à 1963 – entre les traités de Rome et de l’Elysée – que l’idée a réellement fait son chemin. Et la création de l’Office franco-allemand pour la jeunesse en été 63 a donné une impulsion supplémentaire, greffant un nombre croissant d’échanges scolaires sur les jumelages existants ou aidant à les créer là où il n’y avait pas encore de ville jumelle.

 

C’est une remarquable « success story », dont le secret tient à un timing très heureux, et à la présence d’un nombre critique d’acteurs français suffisamment têtus pour convaincre leurs concitoyens qu’une approche humaniste et confiante vis-à-vis de leurs voisins valait la peine d’être tentée. Les Allemands y ont apporté leur contribution. Comme souvent dans l’histoire de l’après-guerre, les citoyens de la jeune République fédérale se sont vu offrir une occasion inattendue (certains diraient : imméritée) et ont réussi à la saisir à leur avantage.

 

Des relations bilatérales saines au niveau intergouvernemental, c’est bien. Mais le fait que la coopération franco-allemande en Europe s’appuie sur un réseau de personnes ordinaires dense et vivant, qui entretient une atmosphère générale de bon voisinage, c’est plus que cela : c’est un des joyaux de l’Europe, précieux et unique.


Auteur

Albrecht Sonntag

Albrecht Sonntag

Albrecht Sonntag est membre d’Alliance Europa. Il est professeur d’études européennes à l’EU-Asia Institute de l’ESSCA Ecole de Management (Angers).

Albrecht Sonntag est membre d’Alliance Europa. Il est professeur d’études européennes à l’EU-Asia Institute de l’ESSCA Ecole de Management (Angers).

Albrecht Sonntag est à l’origine du Multiblog Alliance Europa et a dans ce cadre animé un atelier « Blogging : Pourquoi et Comment ? » à destination des doctorants.

Il a également été un des organisateurs du Colloque sur l’impact du Brexit sur les Pays de la Loire et de la journée sur la contribution du sport à l’intégration des migrants et réfugiés en Europe.

Workshop ‘European Studies’

ESSCA’s EU*Asia Institute invites you to join its workshop on ‘European Studies’ in the framework of the Jean Monnet Chair TRES at ESSCA Angers (room C114) and online on 8 and 9 June 2023.

 

 

Two broad strands will be pursued during the workshop – firstly the history of the process of European Integration to establish the necessary underpinning to our understanding of the progress of European integration, and secondly an examination of the process of European integration today, identifying and questioning the drivers of the change that is taking place.

The workshop will be accessible in hybrid mode.

If you wish to attend in person, please send an email to silke.leukefeld@essca.fr

 

To join online, click here: TEAMS

 

The workshop will open on Thursday, 8 June at 9:00am CET with a keynote speech by Dr Martyn Bond (UACES and Regent’s University, London).

He will be discussing ‘Coundenhove-Kalergi: His Visions of Europe’ based on his book Hitler’s Cosmopolitan Bastard. Count Richard Coudenhove-Kalergi and His Vision of Europe published by McGill-Queen’s University Press.​

 

 

For more information and to access the full program of the workshop, please visit our website at https://bit.ly/EuropeanStudies2023.

 

 

 

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3/3 : 2023, la guerre par le droit

Dans la troisième intervention de la soirée, Sarah Cassella, a identifié le rôle que joue le droit international, certes violé par l’agression russe, dans ce conflit armé depuis le début des combats. En fait, selon elle, il y a une véritable compétition entre les nations impliquées pour défendre des points de vue très différents sur ce qui est (ou devrait être) le droit international.

 

Dès le départ, le président russe a développé toute une argumentation certes délirante, mais qui se fondait sur deux idées basées sur le droit international, à savoir qu’il y aurait, d’une part, un génocide en cours en Ukraine que la Russie se devait d’empêcher, et d’autre part, qu’il y aurait un appel à l’aide lancé par les Républiques nouvellement créées dans le Donbass auquel la Russie devait répondre. Ce sont donc des arguments juridiques formulés dans un objectif de justification.

 

Du côté ukrainien, on a mobilisé le droit à la légitime défense, tout en saisissant toutes les juridictions internationales susceptibles d’intervenir, à commencer par la Cour Internationale de Justice. L’intérêt de faire appel au droit est aussi celui de prendre en considération le temps long. Bien entendu, au milieu des combats, le droit est assez inaudible au départ, mais le débat continue, et l’idée est de pouvoir supprimer l’argumentation russe.

 

Il s’agit aussi d’éviter les précédents : en déclarant « illégale » l’agression russe, on évite que les règles soient modifiées tout en défendant les principes du droit international. Ce que la guerre en Ukraine a mis à nu, c’est une certaine polarisation de la scène internationale, un affrontement juridique qui permet de parler d’une « guerre par le droit ».

 

Autre initiative juridique menée avec une grande réactivité par l’Ukraine : le jugement des crimes commis par la Russie, qu’il s’agisse de crimes de guerre ou de crimes contre l’humanité. Pour cela, l’Ukraine a saisi rapidement la Cour Pénale Internationale, pour que des enquêtes soient diligentées, tout en lançant des milliers d’enquêtes elle-même afin de recueillir des preuves au moment même des combats.

 

En conclusion, Sarah Cassella reconnaît qu’il y a eu un vrai choc il y a un an, car c’est bien la première fois depuis 1945 qu’on a une agression qui vise l’annexion pure et simple d’un État sur le territoire européen. C’était inimaginable, et cela oblige tout le monde à se positionner : on ne peut pas rester neutre, car il y a là une opposition des points de vue et pour la première fois depuis 1945, la volonté de quelques Etats de modifier ce qu’on entend par droit international aujourd’hui. On est à un tournant, et les Nations Unies ne pourront plus fonctionner (ou pas fonctionner) comme par le passé.

 

Retrouvez l’intervention filmée ci-dessous :

 

 

2/3 : 1993, un moment de bascule ?

Pour Denis Duez, l’entrée en vigueur du Traité de Maastricht est véritablement une étape majeure dans l’histoire de l’intégration européenne, comparable seulement à la signature des Traités de Rome en 1957.

 

Maastricht, c’est le passage d’une Communauté économique à une « Union », dénomination qui marque une politisation explicite du projet européen, écartée à ses débuts afin de privilégier une méthode de « petits pas ».

 

Mais aussi l’idée d’une Union qui se voit désormais au service de citoyens et citoyennes européens, grâce à la création d’une citoyenneté qui se surajoute aux citoyennetés nationales.

 

Enfin, l’année 1993 est également la mise en place d’un espace européen dans lequel sont mises en œuvre les quatre grandes libertés de circulation (biens, services, capitaux, personnes).

 

En distinguant entre « trois piliers » – à côté du marché unique, il y a désormais la coopération des Etats-membres dans le domaine de la politique extérieure et de sécurité, ainsi que la coopération policière et judiciaire – on change la nature même du projet européen.

 

On change la nature même du projet européen, et ce dans un contexte géopolitique en pleine mutation. Le Traité de Maastricht intervient très vite après la fin de la guerre froide – chute du mur de Berlin en 1989 et dissolution de l’Union soviétique en 1991 – mais cette paix nouvelle est très vite mise à mal par le déchirement de la Yougoslavie.

 

Selon Denis Duez, c’est précisément le troisième pilier, celui de la sécurité intérieure de l’Union, qui a permis aux Européens de trouver le plus petit dénominateur commun autour duquel on peut commencer à discuter au-delà de l’intégration économique. S’y impose très rapidement la question des frontières de l’Union, car qu’est-ce qu’un corps politique si ce n’est une communauté bornée par des frontières ? Il y a donc un glissement de la problématique de la paix vers la question de la sécurité.

 

Pour ce qui est de la politique étrangère commune, qu’on a pu considérer pendant longtemps comme le « parent pauvre » des politiques lancées par Maastricht, il faut reconnaître que le traité a tout de même joué un rôle de « pivot » dans ce domaine, étant donné que l’Union européenne s’est reconnue comme un acteur légitime sur la scène internationale.

 

Retrouvez l’intervention filmée ci-dessous :

 

 

 

 

1/3 : 1963, une boîte à outils plutôt qu’un modèle

D’emblée, Corine Defrance tenait à rappeler qu’on avait certes beaucoup célébré le 60ème anniversaire du Traité de l’Elysée, et à juste titre, mais qu’il ne fallait pas oublier que ce 22 janvier, on avait aussi fêté les 4 ans du Traité d’Aix-la-Chapelle, cet « Elysée 2.0 » voulu par Emmanuel Macron et Angela Merkel.

 

A Aix, en 2019, il ne s’agissait pas de remplacer le Traité de l’Elysée – de toute façon, on ne touche pas à un lieu de mémoire aussi positif et aussi symbolique – mais de le mettre à jour, de l’adapter au XXIème siècle. Ceci dit, si le Traité d’Aix englobe bien des enjeux contemporains comme le numérique et la lutte contre le réchauffement climatique, il se voit, seulement quatre ans plus tard, déjà dépassé par le nouveau défi de l’agression russe en Ukraine qui a mis la question de la paix à nouveau au premier plan.

 

Peut-on tirer des leçons de 1963 pour un continent à nouveau en guerre en 2023 ?

 

Selon Corine Defrance, il est toujours utile de réfléchir à ce qui a marché dans le passé et ce qui a échoué. Ce qu’il faut éviter en revanche, c’est ériger l’expérience réussie franco-allemande en modèle pour d’autres. Les dernières décennies ont montré qu’appliquer des recettes franco-allemandes dans le monde n’est sans doute pas la voie à suivre. A titre d’exemple, la déclaration, lors d’un sommet Chirac-Schröder à Mayence en 2000, comme quoi « la réconciliation franco-allemande comme modèle pour le rapprochement dans les Balkans » a fait scandale. Il est vrai que la situation n’est jamais la même entre anciens belligérants, le contexte est particulier, et le type de guerre conditionne les sorties de guerre, de rapprochement et de réconciliation.

 

Ceci dit, des pays tiers s’inspirent parfois de la « boîte à outils franco-allemande » pour l’adapter à leur contexte. On a ainsi vu émerger des initiatives comme la création d’un office de jeunesse dans les Balkans occidentaux, sur l’exemple de l’OFAJ, l’une des réalisations les plus emblématiques du Traité de l’Elysée, ou encore la révision commune de manuels scolaires. C’est dans des outils de l’éducation à la paix que réside sans doute l’héritage le plus concret de 1963.

 

Pour conclure, Corine Defrance est revenue sur le Traité d’Aix-la-Chapelle, en soulignant que l’un des plus grands mérites était l’engagement ferme de placer la coopération et l’amitié franco-allemande dans une perspective européenne, de faire en sorte que l’expérience accumulée soit au service de l’intégration européenne – une ouverture qui était aux antipodes de la philosophie de 1963.

 

Retrouvez l’intervention filmée ci-dessous :

 

 

 

Une riche journée d’études pour le lancement d’UniPaix

 

Pour ses débuts officiels, lors d’une journée spéciale à la MSH Ange Guépin le lundi 27 février 2023, le Centre d’Excellence Jean Monnet a pu compter sur la visite et le soutien de trois amis internationaux qui se sont penchés, lors d’une table ronde publique et interdisciplinaire, sur trois moments clés de la paix en Europe.

 

 

 

 

 

 

Corine Defrance, historienne spécialiste de l’Allemagne et directrice de recherches au CNRS, est revenue sur l’année 1963, avec la réconciliation franco-allemande scellée par le Traité de l’Elysée.

 

Denis Duez, professeur de sciences politiques à l’UC-Louvain Saint-Louis Bruxelles, a, lui, revisité l’année 1993, qui a vu l’entrée en vigueur du Traité de Maastricht.

 

Leurs analyses ont été complétées par un regard sur l’actualité de 2023 avec la guerre en Ukraine, porté par Sarah Cassella, professeure de droit public à l’Université Paris Cité

 

 

 

Retrouvez ici de brefs récapitulatifs et des vidéos de ces interventions à la fois brillantes et accessibles :