Par Albrecht Sonntag
C’est fait, on connaît maintenant le nom de la successeure d’Angela Merkel à la présidence de l’Union Chrétienne-Démocrate allemande, la CDU. Cela s’est passé de manière à la fois très rapide et très bien organisée depuis l’annonce d’Angela Merkel de passer la main après dix-huit ans.
Et si Madame Merkel est en principe encore au pouvoir durant près de trois ans, je recommande fortement aux journalistes français de se familiariser sans perdre du temps avec la prononciation du nom de la dame en question : « Annegret Kramp-Karrenbauer ». Comme son nom l’indique, elle causera bien des « crampes » de mâchoires dans les salles de rédaction françaises, mais ce n’est que justice. Après tout, les Allemands ont bien eu droit à « Valéry Giscard d’Estaing » – ce n’était pas gagné non plus.
Son élection est un événement. Le fait qu’une femme puisse en cacher une autre à la tête d’un des plus grands partis conservateurs d’Europe, c’est en soi remarquable. Deux tiers des 1001 délégués qui sont passés au vote vendredi dernier étaient des hommes, comme l’étaient les deux tiers des trois candidats en lice. De toute évidence, le genre n’est plus un critère. Sans doute l’un des héritages les plus marquants d’Angela Merkel.
Bien sûr, Annegret Kramp-Karrenbauer n’est pas venue de nulle part. Née en 1962 – excellent millésime, soit dit en passant – elle a fait une carrière politique rectiligne dans sa Sarre natale. D’abord au conseil municipal de la ville de Püttlingen, puis dans le parlement régional, puis à la tête de ce petit Bundesland frontalière de la Lorraine et du Luxembourg. Elle le dirige depuis 2011, d’abord brièvement dans une coalition avec les libéraux et les écologistes, et depuis 2012, avec les Sociaux-Démocrates.
Et en début de cette année, elle a accepté le poste de secrétaire-générale de la CDU, sous l’impulsion d’Angela Merkel, déjà en train de mettre en selle une confidente pour lui succéder à la tête du parti.
Pourtant, sa victoire a été très juste. Elle a obtenu moins de 52% des suffrages, ce qui montre que ce parti reste très divisé entre deux positionnements incompatibles. Celui, représenté par l’autre candidat principal à la présidence, Friedrich Merz, qui préconise une « droitisation » assez raide après les années Merkel, marquées par une politique centriste qui comportait, pour beaucoup de conservateurs, bien trop d’emprunts à la gauche modérée. Puis celui, défendu par Madame Kramp-Karrenbauer, d’une continuité de principe du centrisme merkelien, car selon ce camp, c’est au centre que se gagnent les élections, pas en faisant des concessions au discours de l’extrême-droite. La nouvelle présidente aura fort à faire à réconcilier tout le monde malgré ces fissures idéologiques.
Ce qui est frappant, quand on parcourt les différents articles de la presse internationale consacrés à la nouvelle tête de la CDU, c’est la certitude avec laquelle tout le monde affirme qu’elle sera, en toute vraisemblance, la prochaine chancelière.
Pas si vite ! Certes, la CDU, fondé en 1945 a donné à la République fédérale cinq chanceliers, parmi lesquels Konrad Adenauer, Helmut Kohl et Angela Merkel. Elle a été au gouvernement pendant 49 ans sur 69, interrompue seulement par deux intermèdes sociaux-démocrates sous l’égide de Willy Brandt et de Helmut Schmidt, puis de Gerhard Schröder. Et vu l’état actuel de la social-démocratie allemande, il est vrai que Mme Kramp-Karrenbauer n’a pas beaucoup de concurrence à craindre de ce côté-là.
Mais 2021 est loin, et beaucoup de choses peuvent se passer d’ici là. Si l’accélération du changement climatique se poursuit, si la pollution des grandes villes ne baisse pas en raison du lobby automobile, si la crise du logement s’intensifie, la CDU pourrait payer cher ses longues années au pouvoir. Et affronter tout d’un coup un autre adversaire : les Écolos ! Étant donné la fragmentation du paysage politique, il est fort probable qu’aux prochaines élections, 30% des votes suffisent pour sortir en tant que vainqueur. Pour les Verts allemands, ce sera certes difficile, mais ce n’est plus impossible.
Et pour les journalistes français, ce serait un grand soulagement : Robert Habeck, le nom de l’actuel chef de file des verts, ce serait quand même plus facile à prononcer, non ?