Par Albrecht Sonntag
Certes, la Bavière n’est qu’un seul parmi seize Länder allemands. Mais en même temps, elle est bien plus que cela. Avec ses 13 millions d’habitants, elle est plus grande que la Belgique, la Suède ou l’Autriche, loin d’être une quantité négligeable. Et avec son produit « national » brut de 600 milliards d’Euros, elle pèse plus lourd que la Pologne.
L’Etat libre de Bavière – son nom officiel – ne cache pas son opulence et son ambition d’accompagner, comme le disent ses responsables, l’intégration européenne « de manière critique et constructive ». A Bruxelles, sa représentation – que dis-je : son château – ne passe pas inaperçu, directement à côté du Parlement.
Que ne s’est-on pas moqué de la « mégalomanie » des Bavarois lorsqu’ils ont acheté, en 2001, la friche à côté du Parlement européen, avec l’ancien Institut Pasteur du Brabant plutôt délabré. Aujourd’hui, il faut reconnaître que le gouvernement bavarois à en l’occurrence plutôt bien investi l’argent du contribuable. En tout cas, mes étudiants adorent cet endroit, rien que pour la qualité du café et des bretzels qui y sont servis. Mais ils sont aussi impressionnés par cette région « modèle » de l’Europe qui construit son identité propre sur le mariage détonnant d’un héritage culturel très enraciné avec une industrie innovante et une recherche de premier niveau mondial.
Pas besoin d’être né en Bavière ou d’être fan du Bayern de Munich pour avoir de la considération pour les Bavarois, bons premiers en Allemagne dans toutes les statistiques, sauf pour le chômage et la criminalité, qui sont au plus bas. Franchement, ils forcent le respect.
Bien sûr, il leur arrive de céder à la tentation de l’arrogance de celui qui réussit mieux que les autres. Ils pestent souvent contre « ces imbéciles de Prussiens à Berlin », et râlent contre les transferts financiers importants qu’ils sont obligés de verser aux Länder plus faibles. Mais contrairement à la Catalogne ou à la Flandre, on n’y trouvera personne à clamer que la Bavière se débrouillerait mieux toute seule.
Dimanche prochain, ils voteront pour leur parlement régional. Et ce qui s’est passé durant cette campagne électorale redonne presque confiance en l’humanité. Car, tenez-vous bien, le populisme n’a pas marché ! Ni le versant xénophobe et identitaire, ni le versant religieux-réactionnaire, ni le versant anti-élitiste de gauche.
Il est vrai que ce dernier n’avait de toute manière aucune chance dans un pays qui n’aime guère le socialisme pour l’avoir côtoyé de très près durant la guerre froide. Die Linke, l’équivalent allemand de la France insoumise, manquera sans doute le seuil des 5% des votes et n’enverra donc aucun député au Landtag.
Pour ce qui est du populisme réactionnaire à tonalité religieuse, le ministre-président actuel, Markus Söder, a pourtant tout essayé pour capitaliser sur l’héritage catholique bien vivant de son pays parsemé d’églises baroques. Mais avec son décret qui rendait obligatoire l’accrochage d’un crucifix dans toutes les écoles et bâtiments publics, il a marqué un but magistral contre son camp dans l’opinion publique. Même parmi les croyants, on ne veut pas de ce symbolisme bon marché de circonstance.
Enfin, la plus belle surprise est le refus net que semblent opposer les Bavarois au populisme identitaire et xénophobe. En se rapprochant ostensiblement du discours méprisant de l’extrême-droite – la fameuse AfD – la droite dite modérée de Söder, la « CSU », a fait une grosse erreur. Car dans le pays qui a été depuis trois ans en première ligne pour gérer l’afflux massif de réfugiés qu’a connu l’Allemagne, la rhétorique anti-migrants est tombée à plat. L’AfD stagne à 12 ou 13% des intentions de vote, alors que la CSU se situe désormais à 33%, très loin des confortables majorités dont elle avait l’habitude.
En fait, les Bavarois sont en train de redéfinir l’adjectif « conservateur ». Ils punissent le conservatisme populiste de façade et encouragent ceux qui tentent justement de « conserver » ce qui rend ce pays si attachant (et la haine ou la peur de l’autre n’en font pas partie). Les électeurs qui sont en train de quitter les partis établis reportent leurs voix non pas sur les extrêmes, mais sur les écologistes et les « électeurs libres et indépendants », un mouvement du centre-droit. Ensemble, ils fourniront près d’un tiers du nouveau parlement régional.
Les élections en Bavière de dimanche prochain ne changeront pas le destin de l’Europe. Mais par les temps qui courent, cette bonne nouvelle d’un électorat qui ne se laisse pas duper par la rhétorique populiste mérite bien d’être partagée.