Une moitié du pays satisfaite, une autre à peu près, avec une gueule de bois sévère. Voilà en bref le résultat principal des élections présidentielles tchèques de fin janvier. Trois petits pourcent séparent le vainqueur, le président sortant Miloš Zeman, du perdant malheureux, Jiří Drahoš. Trois petits pourcent divisent la société tchèque en profondeur.
Ce deuxième tour a eu lieu deux semaines après le premier que l’on pouvait décrire comme « un casting pour un challengeur » . Voici un petit récapitulatif : M. Zeman ne participa presque pas à la campagne, puisqu’il pouvait être quasi-certain de passer au deuxième tour. Le premier tour devait donc simplement répondre à la question de savoir qui serait le meilleur challenger pour la vraie bataille. Parmi 8 candidats, M. Drahoš remporta une victoire nette. Et même si l’écart entre lui et M. Zeman était de 10 points, le report des voix de la majorité de ses adversaires lui donna une solide chance de faire du deuxième tour un moment de suspense.
La campagne d’entre-deux-tours était étonnamment calme. On s’attendait à des scandales ou des attaques très personnelles de la part du camp de M. Zeman. Mais même si des affiches du genre ‘Ce pays est le nôtre ! Halte aux migrants et à Drahoš ! Votez Zeman !’ faisaient leur apparition partout, ce ne fut rien de comparable avec la campagne de 2013, quand le rival de M. Zeman, M. Schwarzenberg, devait affronter des allégations supposant que sa famille était nazie. Plutôt que d’investir dans une campagne d’affichage, M. Drahoš fit le tour des régions rurales, avec l’intention d’y augmenter sa visibilité et de changer sa perception comme « le candidat des cafés de Prague ».
Ce sont les débats télévisés qui ont attiré toute l’attention sur eux. Durant plusieurs semaines, M. Zeman a refusé de participer dans un tel débat, prétendant que ses idées étaient déjà bien connues. Mais une fois les résultats du premier tour dévoilés, il changea complètement d’idée (comme il a l’habitude de faire), pour des raisons à la fois tactiques et stratégiques. Il est connu comme un discutant expérimenté et vif, peut-être le meilleur parmi les politiques tchèques. A l’inverse, lors des débats précédant le premier tour, M. Drahoš avait déjà démontré que la repartie ne faisait guère partie de ses atouts.
Tout d’un coup, l’équipe de M. Zeman annonça que le président était prêt à participer à quatre débats en douze jours. Flairant le piège derrière cette offre, M. Drahoš refusa, n’acceptant que deux débats. Quatre ont tout de même eu lieu mais seulement deux avec les deux candidats. Les deux autres débats diffusés par les chaînes commerciales TV NOVA et TV BARANDOV ne donnèrent la parole qu’à M. Zeman, face à une chaise vide.
Les deux débats les réunissant furent diffusés durant la dernière semaine avant le vote. La première par TV PRIMA, une autre chaîne commerciale. Une victoire sans partage pour M. Zeman qui, face à un présentateur incompétent et quasi-invisible et soutenu par une audience agressive, pleine d’hostilité envers M. Drahoš, ne manqua pas sa chance. Même le script lui était favorable, puisque les thèmes choisis – comme la migration ou l’interdiction de fumer dans les bistrots – lui permettaient de faire bon usage de sa tactique bien connue de sarcasmes et de demi-vérités. Dans cette atmosphère, M. Drahoš – qui, interrompu soit par son adversaire soit par l’audience, n’arriva guère à terminer une seule phrase – avait l’air d’un étudiant mal préparé.
Le dernier débat, accueilli par la chaîne CESKA TELEVIZE, du service public, présenta une autre image. M. Zeman dut répondre à des questions pointues, les conditions pour les deux candidats étaient identiques, et il n’y eut pas d’intervention de la part de l’audience. En résultat, le débat fut bien plus équilibré, même si M. Drahoš n’arriva pas à dépasser son image de l’universitaire émérite hyper-correct. En même temps, M. Zeman changea de style et réprima sa vanité et son populisme. L’interprétation générale était que les chances des deux candidats étaient à peu près égales.
Il n’en fut pourtant rien. Dès le dépouillement, M. Zeman avait une avance confortable de 12 points. Les résultats des circonscriptions urbaines, notamment de Prague, le fief principal de M. Drahoš, ,ne firent que rétrécir l’écart. A la fin, le résultat était de 51.36% pour M. Zeman et 48.63% pour M. Drahoš, avec une participation de 66.6%, qui dépassa celle du premier tour de 5 points.
La jubilation dans le camp victorieux et la grande déception parmi les soutiens de M. Drahoš renvoient à des conflits et des clivages ayant émergé dans la société tchèque durant ces dernières années. M. Zeman bénéficia des voix des citoyens moins éduqués, plus pauvres, en colère, dont la motivation principale peut être résumée par le slogan « Contre la mondialisation ». De l’autre côté, M. Drahoš recueillit les voix des élites, des citoyens plus qualifiés, habitant les grandes villes, ouverts vers d’autres cultures. La société tchèque suit ainsi la tendance que l’on a pu observer dans nombre de pays européens ces dernières années. L’élection présidentielle a confirmé que deux sociétés parallèles vivent à côté l’une de l’autre dans le cœur de l’Europe, chacune célébrant ses valeurs et poursuivant ses objectifs sans engager le dialogue.
L’impact du vote pour l’avenir de la République tchèque est encore incertain, mais il n’y a que peu de raisons d’être optimiste. M. Zeman, après l’annonce des résultats finaux, déclara que cette victoire était sa dernière et qu’il souhaitait unir la société tchèque. Mais personne ne s’attend à ce que son second mandat soit substantiellement différent de son premier. Ce qui est probable, ce sont de nouvelles tentatives d’augmenter son pouvoir et son influence et d’imposer ses objectifs et ceux de ses alliés.