Élections présidentielles tchèques : casting réussi pour le challenger

La République tchèque est un Etat dont le système politique s’appuie sur un pouvoir parlementaire fort et un gouvernement qui forme le principal organe exécutif. Cette structure, qui date de la révolution de velours de 1989, était complétée pendant longtemps par un président élu au suffrage indirect et doté de pouvoirs purement symboliques (un peu comme en Allemagne). De cette manière, Václav Havel a été élu président à deux reprises, tout comme son successeur Václav Klaus.

Cependant, après que la deuxième victoire de Klaus en 2008 fut entourée de scandales et de rumeurs de votes achetés, les partis politiques principaux découvrirent en 2012 qu’il était possible de faire élire le président directement par le peuple. Par conséquent, le mode de scrutin fut changé et le suffrage direct inauguré en 2013. Malheureusement, le système lui-même ne fut pas amendé, puisque les compétences et pouvoirs présidentiels restèrent inchangés.

Miloš Zeman, le premier locataire du Château de Prague élu directement – et l’un des ‘techniciens du pouvoir’ le plus doué de l’histoire récente du pays – utilisa sa position pour dépasser massivement et fréquemment ses pouvoirs formels. Quelques mois seulement après sa prise de fonction, il a contourné la Chambre des Députés pour nommer un gouvernement qui régna confortablement pendant près d’un an sans avoir obtenu la confiance du Parlement !

Zeman, président sortant et Drahos, son challenger

Zeman a également poursuivit sa propre politique étrangère, avec un focus bien plus prononcé sur l’Est (notamment la Russie et la Chine) que ne l’aurait voulu le gouvernement. Lui et ses compagnons les plus proches – son directeur de cabinet M. Mynář, son conseiller M. Nejedlý, sans oublier son porte-parole, M. Ovčáček – ont réussi à transformer l’office présidentiel en un acteur de la politique tchèque visible et doté d’influence. Cela a été encore plus visible très récemment lors des élections législatives en octobre 2017, lorsque M. Zeman a nommé M. Babiš Premier ministre et l’a chargé de former un nouveau gouvernement, bien que ce dernier n’ait aucune chance d’obtenir le soutien d’une majorité.

Le style controversé et les décisions de M. Zeman ont rapidement divisé la société entière. Alors que certains groupes sociaux (notamment les catégories socio-économiques inférieures) ont apprécié tant son comportement – que je qualifierais volontiers de « prolétarien » – que ses actions concrètes, d’autres parties de la société (les électeurs plus qualifiés vivant dans les zones urbaines) l’ont rejeté fermement. Ce clivage est désormais un élément stable de la vie et du discours politiques tchèques. Par conséquent, quand M. Zeman annonça en mars 2017 qu’il était candidat à sa propre succession, un vrai « casting pour un challenger » se mit en route.

Le plus prometteur de ces adversaires potentiels a été Jiří Drahoš, un chimiste reconnu de 68 ans, ancien directeur de l’Académie des Sciences Tchèque. Son profil correspondait parfaitement aux attentes de la deuxième moitié de la population – la partie « anti-Zeman » – pour l’office présidentiel : un candidat non-partisan, pro-Européen, reconnu professionnellement et cultivé. Ceci dit, M. Drahoš n’était pas le seul à posséder ces caractéristiques. Entrèrent en lice également Michal Horáček, entre autres propriétaire de l’entreprise de pari « Fortuna » et ancien acteur de la révolution de velours de 1989, ainsi que Pavel Fischer, un ancien diplomate et compagnon de route de Václav Havel. A la fin de la campagne, Mirek Topolánek, l’ancien Premier ministre, aux commandes durant la présidence tchèque du Conseil européen en 2009, a également soumis sa candidature. Au total, neuf candidats se présentaient, M. Zeman inclus.

La campagne elle-même, du moins dans sa phase présumée « chaude », fut ennuyeuse et ce pour deux raisons principales : d’abord, M. Zeman n’entra pas officiellement en campagne. Il refusa de participer à des débats télévisés et ne fit que quelques rares apparitions publiques, ce qui n’empêcha pas le pays d’être littéralement couvert d’affiches avec son portrait et le slogan « Miloš Zeman, encore ! ». Toute cette publicité fut majoritairement financée par un groupe nommé « Les amis de Miloš Zeman », dont l’origine est restée obscure. Bien entendu, il y a eu des spéculations sur une possible implication russe et l’intérêt de la Russie de le voir réélu. Deuxièmement, la plupart des autres huit candidats exprimèrent des opinions très similaires et, au lieu de se distinguer entre eux, ils se positionnèrent en front commun contre le président absent du débat.

Le premier tour a eu lieu le 13 et 14 janvier. Quand il se déplaça aux urnes, M. Zeman fut abordé par une femme aux seins nus qui cria « Zeman, la putain de Poutine ! », en référence aux liens étroits entre le président et son homologue russe. Il s’avéra qu’elle faisait partie du mouvement FEMEN.

Les résultats du premier tour, avec une participation de 61,92%, ont produit leur lot de surprises. Si la victoire de M. Zeman avait été attendue, on lui avait prédit une part du scrutin bien plus large, au-delà des 40%. Même la distance entre lui et le vainqueur du « tournoi des challengers » – en l’occurrence M. Drahoš – avait été pronostiquée bien plus confortable. Or, M. Drahoš réussit à battre le reste du peloton de manière fort convaincante. Plus important encore, il s’est aussitôt assuré le soutien de M. Fischer, M. Horáček et M. Hilšer (ce dernier étant l’une des surprises du scrutin en matière de votes obtenus). Si tous ceux qui ont voté pour eux au premier tour se déplacent au second tour les 29 et 30 janvier, il a une bonne chance de détrôner M. Zeman.

De l’autre côté, M. Zeman n’est pas connu pour abandonner facilement. Lors de sa première victoire en 2013, il n’avait obtenu que 24% au premier tour, mais est parvenu à doubler son score grâce à une campagne assez sale contre son adversaire. Comme lui et ses compagnons ont beaucoup à perdre, le scenario pourrait être similaire en 2018.

Petr Kaniok

Petr Kaniok est professeur à l’Institut International de Science Politique de l’Université Masaryk de Brno. Il travaille sur l’Euroscepticisme en Europe centrale, ainsi que sur les élections et les partis politiques en Europe.