Les 23 et 24 mai 2019, l’Université d’Angers a accueilli le colloque annuel de la Société française de droit international (SFDI). Près de 200 personnes se sont retrouvées à la Faculté de droit, d’économie et de gestion.
Les extraterritorialités au cœur du colloque de la SFDI
Les 23 et 24 mai 2019, l’Université d’Angers a accueilli le colloque annuel de la Société française de droit international (SFDI). Près de 200 personnes se sont retrouvées à la Faculté de droit, d’économie et de gestion. Les deux jours de communications et de débats se sont focalisés cette année sur les extraterritorialités. Thème de grande actualité (plusieurs rapports parlementaires, dont dernièrement celui de la mission Gauvain (disponible ici : https://www.afje.org/actualite/195; https://www.lemondedudroit.fr/publications/248-etudes-et-documents/64849-rapport-gauvain-veut-proteger-entreprises-francaises-lois-mesures-portee-extraterritoriale.html)
Qu’entend-on par extraterritorialité ?
Il n’existe pas de définition unanime de l’extraterritorialité, et c’est l’un des problèmes. On peut toutefois dire que c’est un phénomène par lequel les États décident de réglementer des comportements, des situations qui ne se manifestent pas sur leur territoire, mais à l’étranger. Soit, ils étendent leur droit national à des personnes, des situations hors de leurs frontières. Soit, ils créent des lois spécifiques pour des phénomènes en dehors de leur territoire.
Quand un État adopte une règlementation fiscale pour ses ressortissants qui se trouvent à l’étranger, par exemple, c’est de l’extraterritorialité. Et ces dispositions peuvent entrer en conflit avec la compétence de l’État qui accueille le ressortissant.
Quand l’extraterritorialité est évoquée dans les médias, le terme est généralement associé aux États-Unis, mais ils sont loin d’être le seul pays à la pratiquer. La plupart des États y ont recours ce qui génère des conflits de compétences. Et c’est le rôle du droit international de tenter d’harmoniser les règles, de limiter les conflits et de trouver des solutions. Et il y arrive dans une certaine mesure : par exemple, la lutte contre la corruption transnationale repose sur une forme d’extraterritorialité qui est consacrée par des conventions internationales. Les deux journées du colloque ont permis de mettre en exergue la particularité de la lutte contre la corruption, qui bénéficie d’un cadre juridique international, même si celui-ci n’est pas dépourvu d’ambiguïté. Les présentations par la Procureure du Parquet national financier, Mme E. Houlette, et par le directeur juridique de l’OCDE, M. N. Bonucci, ont permis de dissiper nombre de malentendus.
En revanche, il n’existe pas de cadre juridique international autorisant des sanctions secondaires contre les entreprises qui ont des relations avec des pays eux-mêmes visés par des sanctions primaires. Tel est essentiellement le cas des sanctions américaines à l’encontre de l’Iran, de Cuba ou du Venezuela. Mais à ce sujet, la politique des États-Unis se démarque à la fois par l’intensité croissante de la pratique des sanctions et par leur extraterritorialité renforcée. Par contraste, l’Union européenne a adopté également depuis 2003 un régime international de « mesures restrictives » qui pèsent sur des pays tiers au motif qu’ils ne respectent pas certaines règles de droit international. Mais les États-Unis ne sont pas dans une logique de réparation des violations des règles internationales, mais davantage dans une optique de puissance. L’objectif de certaines lois – et c’est assumé – est par exemple de faire tomber un régime ou de protéger leurs intérêts économiques. Lors du colloque, ont beaucoup discuté des mesures adoptées par les États-Unis à l’encontre des entreprises européennes, comme BNP ou Alstom. Le numérique a aussi été discuté. Les États-Unis considèrent en la matière qu’à partir du moment où une donnée circule sur son territoire, cela leur donne compétence. Comme lorsque le dollar est utilisé pour une transaction. Ce qui peut paraître discutable. Sans faire de l’anti-américanisme primaire, le colloque n’a pu que constater la singularité de l’approche américaine, qualifiée parfois de volonté hégémonique.
L’originalité de ce colloque, c’est qu’il a permis de confronter des visions.
Lors de la première journée, les regards de spécialistes du droit public et du droit privé ont été croisés. Les premiers, « les publicistes » réfléchissent aux compétences des États et à leurs relations, tandis que les seconds, les « privatistes » regardent comment les États réglementent les relations entre acteurs privés. Cela a été très enrichissant. Il a été décidé qu’il fallait poursuivre ces échanges entre publicistes et privatistes, car si les règles extraterritoriales sont le fait d’États, elles se retrouvent aussi dans les contrats.
Les profils des intervenants étaient variés, avec des universitaires, mais aussi des experts, avocats, magistrats, diplomates, ou représentants de compagnies… Et ce croisement des regards a été apprécié. Tout autant que la qualité irréprochable de l’organisation, grâce à la mobilisation du personnel du Centre Jean Bodin.