Analyse d’une Europe en crise de légitimité par Arnauld Leclerc

Analyse d’une Europe en crise de légitimité par Arnauld Leclerc, professeur à l’Université de Nantes, responsable de la Chaire de philosophie de l’Europe et président d’Euradionantes, la radio-école nantaise d’information européenne de proximité. Quelles solutions pour une Europe plus démocratique et citoyenne ?

Article du 2 octobre 2014 de Nantes Métropole

Depuis sa thèse consacrée à la démocratie délibérative, Arnauld Leclerc cultive un regard aigu sur la chose publique, la démocratie et la citoyenneté. Par ses travaux et rencontres, notamment avec les philosophes Jürgen Habermas et Jean-Marc Ferry, il en est venu à l’Europe. Et s’est forgé des convictions : « plus culturelles que politiques, du moins au départ. Les ressources culturelles développées en Europe au cours des siècles sont exceptionnelles, car elles nous apprennent à nous décentrer, à nous regarder avec les yeux des autres. Elles sont précieuses car elles permettent de se mettre à distance du nationalisme ».
Très vite, convictions et engagements professionnels se rejoignent : dès 2006, Arnauld Leclerc participe aux réflexions de l’Université de Nantes sur la création d’une filière de sciences politiques. Le cap se dégage rapidement : l’Europe sera le cœur du projet. Au fil des ans, les briques se posent : licences européennes, masters, programmes de recherche européens, chaire de philosophie de l’Europe… Et pour lui, l’Université ne doit pas être une citadelle : il s’attache à créer des liens entre monde académique et société civile, en nouant des partenariats avec des associations nantaises engagées sur l’Europe, « mes étudiants réalisent désormais leurs travaux pratiques à Euradionantes. Au lieu du traditionnel exposé, ils doivent concevoir et réaliser une émission de radio sur l’Europe ».

La démocratie délibérative pour sauver l’Europe ?
Et quand on l’interroge sur l’apparent paradoxe entre les ressources culturelles européennes, qu’il voit comme un antidote puissant au nationalisme, et les résultats des dernières élections européennes, la réponse est claire : « Ces résultats ne remettent pas en question cette capacité de la culture européenne à se décentrer. Le problème est plutôt que l’Union européenne se construit en dupliquant le modèle de l’Etat avec sa logique verticale. Hors il y a des résistances fortes en Europe sur ce mode de fonctionnement : cette discipline verticale est mal vécue par les populations. L’échec européen résulte avant tout de l’absence d’un espace de dialogue entre tous les acteurs de la société. La construction européenne telle qu’on l’a connue jusqu’à présent, par un modèle juridique, reposant sur la soumission à la règle, semble plus facile a priori mais les limites semblent atteintes. A contrario, la discussion, la délibération avec les acteurs permettent la coopération et l’entente, pas seulement sur la forme mais aussi sur les contenus, dans une logique plus horizontale ». Mais la démocratie délibérative dans une Europe à 28 est-elle possible en pratique ? Arnauld Leclerc en est persuadé : « seul le dialogue permettra de définir les intérêts partagés, au-delà des préoccupations nationales, de donner une légitimité à l’Union et de renouer les liens entre l’Europe et les citoyens.»

La nécessité d’un espace public européen
Aussi lucide qu’il est convaincu, Arnauld Leclerc souligne que « ce processus s’inscrit forcément dans le temps long. Il exige la création d’un espace public européen, qui n’existe pas aujourd’hui». Et c’est justement le défaut d’espace public européen qui constitue le terreau des poussées nationalistes. Alors, que faire pour favoriser son émergence ? Arnauld Leclerc pose plusieurs conditions, parmi lesquelles la nécessité de rendre public les désaccords : « l’Europe doit sortir de la diplomatie du secret. Le Parlement devrait être le lieu du débat politique, mais les eurodéputés sont concentrés sur des textes très techniques, qui n’ont aucune lisibilité et intelligibilité pour l’opinion ». Car pour lui, il n’y aura pas d’espace public européen sans une information européenne de qualité : « dans les médias aujourd’hui, l’Europe est peu et mal traitée, explique-t-il. Les médias ne jouent pas le jeu, partant du postulat que l’Europe n’intéresse pas les gens. Pourtant, leur rôle est essentiel pour l’émergence d’un espace public européen. Et pas seulement en parlant de ce qui se décide à Bruxelles ou Strasbourg, mais aussi en médiatisant ce qui se passe chez nos voisins européens. Pour comprendre les problèmes, il faut comprendre nos voisins, connaitre leur perception des choses. ».
Et c’est tout le sens des initiatives comme celle d’Euradionantes : « Euradionantes propose une micro-réponse, mais une réponse intelligente. C’est un des rares outils original qui tente de faire exister le débat, et pas seulement entre experts ou initiés. Les associations locales s’y investissent. Il y a un travail sur le terrain, en Europe, pour croiser les regards, les perceptions des gens. Euradionantes permet de montrer la densité de l’Europe dans notre quotidien, elle permet la confrontation, y compris avec ceux qui sont contre l’Europe ».

Source : http://www.nantesmetropole.fr/newsletter-internationale/portrait/arnauld-leclerc-71543.kjsp

Arnauld Leclerc

Arnauld Leclerc

Professeur de science politique à l’Université de Nantes et directeur de la Maison des Sciences de l’Homme Ange-Guépin de 2015 à 2020. Titulaire de la chaire Jean Monnet Télos, Ethos, Nomos Europa. Coordinateur de l'Axe 1 d'Alliance Europa " Gouverner l'Europe dans la mondialisation"

Arnauld Leclerc, membre du Laboratoire Droit et Changement Social (Unité Mixte de Recherche CNRS/Université n°6297) est spécialiste de théorie politique appliquée à l’Europe. Il dirige le master 2 science politique de l’Europe et a créé en 2011 une licence sélective originale dédiée à l’étude pluridisciplinaire de l’Europe. Ses enseignements relèvent tous des études européennes et contribuent à la fois à la vitalité de ce champ, aux débats sur les questions européennes par ses nombreuses participations à des débats publics et l’organisation de nombreux événements scientifiques et extra-académiques. Il est président de Euradio, radio école spécialisée sur les questions européennes, accueillant chaque année des étudiants de toute l’Europe et diffusant en plusieurs langues.

Coordinateur du projet de la Chaire de Philosophique de l’Europe dirigée par le philosophe Jean-Marc Ferry, il est l’auteur de plusieurs ouvrages collectifs dont Les intellectuels et le pouvoir. Déclinaisons et mutations aux Presses Universitaires de Rennes (2012), Conclusion : La citoyenneté européenne en temps de crise (2016) et L’Europe : crise et critique aux Presses de l’Université de Paris-Sorbonne (2017) et Du mot au concept. La démocratie comme intellectualisation de la dispute sociale (2017),  L’Europe face au défi des religions : construire un espace public par-delà la sécularisation (2017) Ses thèmes de recherche portent sur la Philosophie de l’Europe, la théorie de la démocratie et la Philosophie de l’Université.

Voir la page de la Chaire « Télos Ethos Nomos de l’Europe »