L’Union européenne, l’immigration et la «crise des réfugiés» : des raisons d’espérer?

Par Yves Pascouau

Des hotspots au corps européen de garde-frontières, en passant par la déclaration UE-Turquie, la fermeture de la route des Balkans ou encore le soutien aux pays tiers tels que le Liban ou la Jordanie, l’Union européenne (UE) et les États membres ne sont pas demeurés inactifs face aux flux migratoires exceptionnels enregistrés depuis 2015. Si certaines mesures ont produit des effets, le satisfecit doit être mesuré car un an après le déclenchement de la « crise des réfugiés », c’est un constat mitigé, voire d’échec, qui prévaut.

Une succession d’échecs et d’insuccès

Échec dans la mobilisation des instruments disponibles tout d’abord. Le « mécanisme d’alerte rapide » établi par le règlement Dublin III pour « prévenir toute défaillance ou effondrement des régimes d’asile » en cas de pression migratoire n’a pas fonctionné et n’a donc pas permis de prévenir la « crise ».

Par ailleurs, la directive « protection temporaire », qui instaure des normes relatives à « l’octroi d’une protection temporaire en cas d’afflux massif de personnes déplacées » n’a pas été activée alors même que la situation à l’automne 2015 remplissait les critères de sa mise en œuvre.

Échecs dans la réaction politique et opérationnelle ensuite. La gestion politique de la crise a été désastreuse. Les décisions nationales unilatérales et antagoniques, entre ouverture et fermeture, ont créé les conditions d’un chaos humain et humanitaire aux frontières de l’UE, qui a alimenté le sentiment de perte de contrôle et celui de menaces pour la sécurité des citoyens.

Les actions mises en œuvre pour « rétablir l’ordre » ont eu des effets contreproductifs. Le principe d’une relocalisation obligatoire de 160 000 personnes a mis en lumière une profonde fracture entre les États membres sur la question de l’accueil des demandeurs d’asile, et plus largement sur celle du partage de valeurs communes. En outre, des oppositions durables ont émergé, limitant le consensus aux seuls domaines du renforcement des contrôles aux frontières et de l’éloignement des personnes en situation irrégulière.

Au plan opérationnel, les résultats ne sont pas plus probants. La mise en place des hotspots sur les îles grecques et italiennes a été difficile en raison d’une participation limitée des États dans l’envoi des personnels nécessaires à leur bon fonctionnement.

La relocalisation des demandeurs d’asile, c’est-à-dire leur transfert depuis la Grèce et l’Italie vers les autres États membres pour que leur demande soit examinée, n’a pas fonctionné comme prévu. Début décembre 2016, plus d’une année après la mise en œuvre du dispositif, 8 162 demandeurs d’asile ont été relocalisés, soit moins de 10% des engagements souscrits…

Enfin, si la déclaration UE-Turquie a contribué – avec la fermeture de la route des Balkans – à faire chuter le nombre d’arrivées en Grèce, elle reste juridiquement fragile et politiquement dépendante des autorités turques. Ces dernières peuvent en effet cesser de contrôler les départs depuis leurs côtes si les contreparties proposées par l’UE – libéralisation des visas et reprise du processus d’adhésion –  ne sont pas honorées. Un arrêt des contrôles entraînerait une augmentation des arrivées en Grèce.

 

Les conditions d’une solution immédiate et durable

Si le tableau est bien sombre il n’est pas désespéré, à la condition toutefois que tous les acteurs contribuent aux changements nécessaires. Il appartient tout d’abord aux États membres de mettre en œuvre les mesures qu’ils ont acceptées dans le cadre de l’UE. Cela concerne la gestion des frontières extérieures et la relocalisation aussi bien que l’application effective de l’ensemble des directives et règlements adoptés dans le domaine de l’asile et de l’immigration.

Ensuite, l’adaptation des règles européennes de l’asile aux phénomènes migratoires contemporains impose mesure et réflexion. Si l’établissement d’un système de répartition des demandeurs d’asile entre les États est nécessaire et impose une modification du système dit de Dublin, la réforme en profondeur de tout le système d’asile, telle que proposée par la Commission, n’est pas essentielle.

Les règles qui organisent le régime d’asile européen commun sont récentes et commencent à peine à produire leurs effets. Les modifier sans évaluation de leur pertinence ou déficience n’est pas souhaitable et s’oppose au principe de « meilleure législation »  prôné par la Commission Juncker. Par ailleurs, le paquet législatif proposé vise davantage à sanctionner les demandeurs d’asile qui se sont déplacés dans l’espace Schengen qu’à approfondir le régime d’asile européen commun. Un arrêt des négociations sur ces textes permettrait d’examiner les besoins et de mieux préparer l’avenir.

Enfin, la logique actuelle faisant de la frontière l’alpha et l’oméga de la politique migratoire doit être dépassée. Les migrations commencent loin de la frontière et leur gestion comprend une dimension de politique étrangère. Une fois entrés sur le territoire des États, nombre de migrants et réfugiés y demeurent longtemps. C’est la question de leur intégration qui s’impose alors. La politique migratoire relève autant de la politique étrangère que du contrôle des frontières et de l’intégration.

C’est à cette transversalité que les acteurs européens et nationaux doivent désormais s’attacher, ainsi qu’à un exercice de scénarisation des mouvements migratoires sur plusieurs décennies, s’ils souhaitent sérieusement gérer un phénomène ancestral qui va perdurer.

L'auteur

Yves Pascouau

Fondateur du site www.EuropeanMigrationLaw.eu - Chercheur associé à l'Université de Nantes. Docteur en droit public de l'Université de Pau et des Pays de l'Adour. Sa thèse porte sur "La politique migratoire de l’Union européenne". Titulaire de la Chaire « Genèse et développement de l’espace Schengen » de 2017 à 2019.

Ex-directeur au European Policy Centre (Bruxelles) –
Chercheur associé sénior à l’Institut Jacques Delors (Paris) –

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