Le régime de la recherche et du sauvetage maritime, ses défaillances et manipulations politiques

Par Emilie Lenain

Depuis de nombreuses années, les États membres de l’Union alignent tous les moyens à leur disposition pour ralentir les arrivées de migrants sur le territoire européen. Parmi les mécanismes déployés, bon nombre peuvent sembler licites à certaines conditions : renforcement de l’obligation de posséder un visa d’entrée sur le territoire, sanctions aux transporteurs ayant acheminé des migrants en situation irrégulière ou multiplications des interceptions en haute-mer voire sur le territoire des Etats tiers. En revanche, le récent mouvement de criminalisation du sauvetage maritime mené par l’Italie, la Grèce et Malte ne semble pas avoir de bases légales solides. Il repose sur une relecture abusive de la réglementation européenne et internationale créant une confusion dangereuse entre sauveteurs et trafiquants.

L’obligation de porter secours

L’obligation de porter secours à toute personne en détresse en mer est l’une des plus anciennes coutumes connues en droit international. Tous les capitaines de navire sont tenus de porter assistance, dans les plus brefs délais et sans-discrimination, à toutes les personnes menacées par un danger grave en mer. La notion de détresse constitue une clé juridique de lecture déterminante. Un navire peut être considéré en détresse dès lors qu’il ne présente pas les garanties de navigabilité requises pour atteindre sa destination ou que les conditions humanitaires à bord portent atteinte à la dignité des passagers. L’immense majorité des embarcations de fortune transportant des migrants apparaissent de facto en détresse quand bien même elles ne seraient pas effectivement en cours de naufrage.

Le droit décline également des obligations pour tous les Etats parties aux conventions internationales relatives à la recherche et au sauvetage maritime.

D’abord, les Etats de pavillon doivent transposer l’obligation de porter secours en mer dans leur droit interne et en assurer le respect. Ensuite, les Etats côtiers sont eux tenus de mettre en place et d’entretenir des moyens destinés à procurer un service de recherche et de sauvetage efficace le long de leurs côtes. Enfin, les Etats ayant délimité une zone SAR – search and rescue – ont la responsabilité de coordonner les opérations de recherche et de sauvetage non pas, contrairement à ce que revendiquent les autorités libyennes, dans l’objectif d’accroître leur souveraineté au-delà de leurs eaux territoriales mais dans l’intérêt de la sauvegarde de la vie humaine en mer.

A ce titre, ils portent la responsabilité principale de déterminer un lieu de débarquement dans l’objectif de décharger le capitaine de son obligation dans les plus brefs délais. Ce lieu doit être sûr tant pour le capitaine, son navire et son équipage que pour les rescapés. Ce dernier détail explique les raisons pour lesquelles il n’est pas licite de débarquer les migrants secourus en Méditerranée en Libye.

 

L’interdiction du trafic illicite de migrants

Par conséquent, les capitaines de navire ayant porté secours à des migrants exprimant le souhait de ne pas être débarqués sur les côtes africaines parce qu’ils craignent des mauvais traitements ou un renvoi vers leur pays d’origine, n’ont d’autre choix que de demander l’entrée dans les ports européens. La multiplication des tentatives de traversées au cours des années 2015 à 2017 a inévitablement conduit à une multiplication des sauvetages et des débarquements créant une tension nouvelle entre les sauveteurs et les Etats de débarquement.

Les opérations conduites par les Etats, telles que Mare Nostrum, ont progressivement disparu. Elles ont été partiellement remplacées par des opérations visant l’interception des migrants et leur renvoi vers des pays tiers plutôt que le sauvetage.

Quelques ONG ont pris le relais en affrétant des navires humanitaires pour patrouiller au large et porter secours lorsque cela s’est avéré nécessaire. Elles ont dû et doivent encore, pour les plus résistantes d’entre elles, faire face à la mauvaise foi des Etats européens. D’une part, ceux-ci ne respectent pas leur obligation de coopération dans le double objectif de maintenir un service efficace de recherche et de sauvetage et de définir rapidement les lieux sûrs de débarquement. Il en ressort des épisodes tristement incroyables tels que le blocage au large de l’Aquarius à l’été 2018 alors qu’il avait plus de 600 rescapés à son bord. D’autre part, certains Etats européens encouragent ou pratiquent la criminalisation du sauvetage.

En 2000, le Protocole de Palerme luttant contre le trafic illicite de migrants a été ratifié notamment par l’Union européenne. En vertu de ce textes, l’Union et ses Etats membres sont tenus de pénaliser les pratiques considérées comme des actes de trafic. Celui-ci ne peut être constitué qu’à la condition que les suspects facilitent l’entrée irrégulière d’une personne sur un territoire et qu’ils en tirent un bénéfice. Or, les ONG ou navires de la marine marchande pratiquant les secours ne tirent aucun bénéfice – on en veut pour preuve les relaxes prononcées par les juridictions nationales au bout d’années de procédure.

En conséquence, il apparaît, en droit, que tant que les marins procédant au sauvetage ne font que s’en tenir strictement à leur obligation de porter assistance rapidement et sans discrimination à toute personne en détresse en mer, ils ne sauraient être confondus avec des trafiquants de migrants.

 

Les conséquences dangereuses de la confusion

D’ailleurs, aucune des poursuites pénales lancées contre les ONG n’a donné lieu à une condamnation. Pour autant, les risques sont importants tant pour le navire que pour l’équipage et le capitaine. En outre, bien souvent, les navires restent bloqués pendant toute la durée de l’enquête. Ces pratiques visent à décourager les sauvetages. Elles engendrent des pertes financières importantes, jettent le discrédit sur les sauveteurs et découragent certains marins de porter assistance. Pris entre les risques de poursuites pénales et les tensions entourant la détermination du lieu de débarquement, de moins les ONG ne peuvent plus opérer en mer tandis que de plus en plus de capitaines de la marine marchande sont encouragés par leurs financeurs à fermer les yeux sur les naufrages alentours et poursuivre leur chemin.

 

Ce thème a fait l’objet d’une intervention lors du World Maritime Rescue Congress organisé à Vancouver du 15 au 18 juin 2019.

L'auteur

Emilie Lenain

Doctorante en droit international à l'Université d'Angers

Accueillie au Centre Jean Bodin à l’Université d’Angers, Emilie Lenain prépare une thèse en droit international sur « L’accueil des réfugiés en Europe : étude comparée des systèmes juridiques », sous la direction de Bérangère Taxil (Centre Jean Bodin, Université d’Angers) et Estelle d’Halluin (CENS, Université de Nantes) dans le cadre du projet ARRECO soutenu par Alliance Europa.