Le gagnant rafle tout (y compris les problèmes)

Par Petr Kaniok

Gagner, ça fait du bien. Et être un gagnant, c’est un rôle social très gratifiant. Mais. Car il y a toujours un « mais », surtout en politique. Y compris dans les élections, ce « championnat majeur » de la démocratie moderne. Une fois l’euphorie de la belle victoire dissipée, même un gagnant fort et clair peut vite être en proie aux symptômes de la gueule de bois, face à des difficultés imprévues. C’est ce qui se passe actuellement en République tchèque.

Laissons d’abord parler les résultats. Dans mon billet pré-électoral, j’ai fait deux pronostics. D’abord, que M. Babiš et son mouvement ANO allaient gagner. Ensuite, que le populisme et l’instabilité du système allaient en sortir renforcés. Comme le suggère le tableau ci-dessous, les deux se sont réalisés. Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Penchons-nous sur ce qu’il y a au-delà des chiffres et analysons ce que ces élections représentent pour « le petit pays en plein cœur de l’Europe ».

Creuser jusqu’aux causes profondes de ces résultats donnerait de l’étoffe pour toute une série télé. Mais l’espace d’un billet de blog étant restreint, on va se concentrer sur les trois intrigues principales : Babiš, les partis traditionnels et les outsiders.

Le gagnant indiscutable des élections est donc M. Babiš. Malgré une campagne de l’opposition qui présentait ce milliardaire comme une menace sérieuse pour la démocratie tchèque, ANO a réussi à persuader presque un tiers des électeurs que ses candidats étaient vraiment différents de « politiciens traditionnels » en sachant « travailler dur ». Il est possible que M. Babiš ait bénéficié d’un soutien large de la part des medias, puisqu’il est le propriétaire indirect de deux quotidiens majeurs et d’une radio importante… En tout cas, faut reconnaître que la campagne négative contre sa personne n’a pas été efficace.

La droite classique sort des élections avec des sentiments mitigés. Les Démocrates Civiques, presque cliniquement morts après la débâcle de 2013, se sont bien repris, mais aujourd’hui, ils peuvent seulement rêver des temps où ils attiraient 20% de l’électorat. Les mêmes ambitions étaient cultivées ces dernières années par « TOP 09 » et par les Chrétiens-Démocrates. Tous les deux aspiraient à être le leader reconnu du centre-droite, surtout ces derniers, qui se voyaient déjà en « CDU » tchèque, comme leurs grands frères allemands. En 2017, les rêves du passé sont devenus des cauchemars tant ils ont été remis à leur place par les résultats. D’une manière ou d’une autre, le futur du centre-droit conservateur est dans l’opposition en espérant une meilleure coopération entre eux. La fragmentation actuelle de ce camp – qui comprend aussi des maires et des indépendants – ne fait aucun sens et n’augure pas des avenirs meilleurs.

Pour la gauche traditionnelle, les élections peuvent être résumées en un seul mot : humiliation. Les Sociaux-Démocrates ont accumulé tous les défauts qu’on puisse imaginer. Pour ne citer que quelques-uns : absence de leaders charismatiques, zizanie entre personnalités clés du parti, absence de thèmes majeurs et crédibles et un marketing politique des plus pathétiques. Même si le gouvernement sortant – mené par les Sociaux-Démocrates ! – était considéré à plusieurs égards comme performant, les Socialistes se sont montrés incapables de vendre leur action et ont perdu toute légitimité.

Quant aux Communistes, qui pensaient qu’ils allaient bénéficier de leur rôle d’opposant, leur résultat a été le plus bas depuis la création du parti en 1921 ! La perte de plus de la moitié des leurs sièges en quatre ans s’explique par un manque total de propositions politiques. Se fier simplement au message « Nous sommes l’opposition, et l’avons toujours été depuis 1989 » s’est révélé insuffisant pour attirer de nouveaux électeurs. Et ceux qui votent pour les Communistes par nostalgie sont désormais une espèce en voie d’extinction. La gauche devrait être préoccupée par la migration de ses électeurs vers Messieurs Babiš et Okamura (voir ci-dessous). Si elle veut survivre en Tchéquie, elle a besoin d’un nouveau récit, de nouveaux thèmes, et de nouveaux leaders.

Dans la catégorie « espoir de l’année », ce sont les « Pirates » qui remportent le prix. Le parti a commencé sur le plan municipal il y a quelques années et a réussi à créer une réputation très positive et prometteuse, notamment auprès des jeunes électeurs. Même si leur nom est lié au monde des nouvelles technologies (comme dans d’autres pays), leurs intérêts sont bien plus larges, notamment pour une meilleure efficacité et transparence de l’Etat. De l’autre côté, leurs positions sur la politique extérieure ou l’Union européenne restent floues.

Si les Pirates peuvent être considérés comme une agréable surprise, le succès de M. Okamura – un ancien entrepreneur mi-tchèque mi japonais – et de son parti « Liberté et Démocratie Directe » est clairement le résultat le plus désastreux. Durant la campagne entière, M. Okamura se faisait le promoteur du pire des populismes, combinant des éléments xénophobes, anti-musulmans, anti-européens et « anti-establishment », et promettant « plus de démocratie directe » ou « un départ de l’Union européenne à l’anglaise ». Cela lui a permis d’emmener 21 marionnettes – la plupart des personnes sans expérience politique ni compétences visibles – à l’Assemblée.

Et maintenant ? Quelle est la suite de ces élections ? M. Babiš découvre qu’il n’a pas suffisamment gagné pour former un gouvernement seul, et bien trop pour offrir à qui que ce soit un partenariat entre égaux. Il est peu surprenant que les négociations pour une coalition gouvernementale n’aient encore rien donné. Ce qui ne veut pas dire qu’il ne se passe rien, au contraire ! M. Babiš a commencé par essayer de picorer les cerises sur le gâteau, en approchant certains noms des autres partis pour leur offrir une place dans son futur cabinet. Raté ! Tous ces politiques ont unanimement repoussé ses avances. Dans un deuxième essai, il a visé des personnalités indépendantes, mais là encore, sans effet significatif. Il en résulte que la suite la plus probable soit un gouvernement composé de son seul parti et garni de quelques experts technocratiques. Un tel gouvernement pourrait être soutenu tacitement par les Communistes ou le parti de M. Okamura, en échange à quelques postes de prestige.

Avec un peu de chance, les choses se décanteront d’ici Noël, quand M. Babiš voudra demander le vote de confiance du Parlement.

Petr Kaniok

Petr Kaniok est professeur à l’Institut International de Science Politique de l’Université Masaryk de Brno. Il travaille sur l’Euroscepticisme en Europe centrale, ainsi que sur les élections et les partis politiques en Europe.