La Déclaration de Rome du 25 mars 2017 et la migration : des reculs inquiétants?

Par Yves Pascouau

Les dirigeants de 27 Etats membres et des institutions de l’Union européenne (EU) étaient réunis le 25 mars 2017 à Rome pour fêter les 60 ans de la construction européenne. Cet anniversaire s’est déroulé dans un contexte lourd où le Brexit, la métamorphose des équilibres mondiaux, les élections nationales perturbées par les formations politiques hostiles à l’UE et les divisons entre Etats sur la question de réfugiés formaient la toile de fond. Dans ces circonstances, la déclaration adoptée à l’issue de la réunion des dirigeants européens a avant tout cherché à afficher l’unité en rappelant qu’en dépit du départ d’un de ses membres l’UE est « une et indivisible ».

Sur les politiques, la question migratoire et celle de la sécurité intérieure figurent en tête des priorités abordées par les dirigeants européens. Ces derniers se sont engagées à la réalisation d’une « Europe sûre et sécurisée: une Union où tous les citoyens se sentent en sécurité et peuvent se déplacer librement, dont les frontières extérieures sont sécurisées et qui dispose d’une politique migratoire efficace, responsable, s’inscrivant dans la durée et respectant les normes internationales; une Union déterminée à lutter contre le terrorisme et la criminalité ». Ces quelques lignes ouvrent la voie à des reculs inquiétants.

 

Exit Schengen ?

C’est un enseignement cruel. L’espace Schengen, l’une des réalisations majeure de la construction européenne, n’est pas nommé dans la déclaration de Rome. Certains pourraient y voir une pudeur de circonstance, compte tenu de la recrudescence des contrôles exercés aux frontières intérieures depuis septembre 2015. D’autres pourraient, à l’inverse, y voir le signe d’un renoncement.

La possibilité de « se déplacer librement » figurant dans la déclaration ne renvoie pas ipso facto à l’espace Schengen. Elle peut aussi être une référence à la liberté de circulation, c’est-à-dire au droit d’entrer et de séjourner sur le territoire des autres Etats membres tel qu’il a été mis en œuvre avant même la création de l’espace Schengen.

Le défaut de référence explicite à « Schengen » pourrait ouvrir la voie à un renversement de paradigme où le principe de l’absence de contrôle aux frontières intérieures cèderait le pas à une acceptation plus large du rétablissement, voire de la persistance, de ces contrôles. Cela constituerait alors un recul philosophique, politique et économique de la construction commune.

 

Quand souffle l’esprit de Bratislava… c’est celui de Lisbonne que l’on enterre

Ce 60ème anniversaire a confirmé l’impasse dans laquelle se trouve l’UE en matière de politique migratoire. Dans la lignée du sommet de Bratislava de septembre 2016, les dirigeants européens ont fait de la frontière extérieure et de sa sécurisation l’Alpha et l’Omega de leur politique. Car, avec la politique du retour, c’est bien le seul domaine dans lequel l’action commune est encore possible.

Ce constat d’impuissance politique permet alors d’enterrer les avancées du traité de Lisbonne. Il n’est en effet plus question de « politique commune » de l’asile et de l’immigration mais de politique migratoire « efficace » et « responsable ». La logique du résultat, qui irrigue les cercles de décision, l’a emporté sur le projet d’intégration politique supérieur qu’implique une « politique commune ».

Un second recul, plus profond, concerne les droits de l’homme. Désormais, la politique migratoire doit respecter « les normes internationales » et non plus les droits fondamentaux comme l’indique l’article 67 du traité de Lisbonne.

Juridiquement, cette formulation est sans fondement puisque les institutions et les Etats demeurent tenus de respecter des droits fondamentaux. Politiquement, le signal est en revanche plus inquiétant. Il indique en effet que la politique migratoire peut s’aligner sur des « normes internationales » moins protectrices que les standards de protection des droits de l’homme consacrés dans l’UE.

La convention de Genève sur le statut des réfugiés n’impose pas d’accorder des conditions d’accueil dignes aux demandeurs d’asile, le droit de l’UE oui. Le principe de non-refoulement n’interdit pas la détention, le droit de l’UE l’encadre de manière forte. La convention européenne des droits de l’homme ne créée pas de droit au regroupement familial, le droit de l’UE l’a consacré en 2003.

C’est parce que l’UE est fondée sur le respect des droits fondamentaux et leur promotion qu’elle a bâti un ensemble de règles aux standards élevés. Reconnaître que la politique migratoire respecte les « normes internationales », c’est accepter d’abaisser le niveau de protection des personnes.

 

Le vieux logiciel tourne encore

Enfin, la déclaration de Rome perpétue une logique apparue notamment avec le Maastricht en 1992 et qui consiste à aborder dans un même dispositif la politique migratoire, le terrorisme ou la criminalité. Ainsi, le sort du demandeur d’asile, du réfugié ou du migrant est traité sur le même plan que celui du terroriste ou du trafiquant de drogue

Si la politique migratoire comprend une part de sécurité intérieure, elle ne peut s’y résumer. Elle couvre des domaines plus étendus, de la politique étrangère aux politiques sociales, et doit par conséquent bénéficier d’un traitement correspondant à ses spécificités et ses enjeux. Les célébrations de Rome auraient pu en donner l’occasion, si le vieux logiciel ne tournait encore…

Les défis auxquels l’UE et ses Etats membres sont confrontés sont ardus. Ils l’étaient tout autant pour les pères fondateurs qui avaient choisi de les relever par la définition d’objectifs politiques ambitieux. 60 ans après, leurs successeurs optent pour une approche différente ouvrant la voie à une remise en cause des fondements et de l’acquis. Ce renversement n’est cependant pas une fatalité, à la condition toutefois que les jeunes générations, plus ouvertes, manifestent leur attachement aux valeurs communes.

L'auteur

Yves Pascouau

Fondateur du site www.EuropeanMigrationLaw.eu - Chercheur associé à l'Université de Nantes. Docteur en droit public de l'Université de Pau et des Pays de l'Adour. Sa thèse porte sur "La politique migratoire de l’Union européenne". Titulaire de la Chaire « Genèse et développement de l’espace Schengen » de 2017 à 2019.

Ex-directeur au European Policy Centre (Bruxelles) –
Chercheur associé sénior à l’Institut Jacques Delors (Paris) –

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