Par Albrecht Sonntag
Dans son plus récent édito sur Euradio, Albrecht Sonntag, de l’ESSCA, école de Management à Angers, nous parle des ingrédients nécessaires pour composer le populisme en Europe en prenant exemple sur l’Italie.
Humiliez-moi. S’il-vous-plaît, humiliez-moi vite. Le populiste en moi en a besoin. Il a écouté l’édito d’hier de Sylvain Kahn sur Euradio au sujet du caractère démocratique à la fois du budget italien et de l’intervention – nécessairement déplaisante mais parfaitement justifiée dans l’intérêt commun – de la part de la Commission européenne, et il a eu une overdose aigüe de bon sens et de raisonnement logique de la part de Sylvain. C’était insupportable. Par conséquent, il lui faut vite, vite des émotions fortes, une bonne injection d’humiliation, d’indignation et de colère !
C’est ainsi qu’on pourrait décrire le mécanisme qui a provoqué les réactions ultra-indignées de certains politiques italiens face aux critiques factuelles de la part de la Commission. Pour le populistes, l’Union européenne est tout de même un cadeau du ciel : tout ce qu’elle dit ou fait peut aussitôt être interprété comme une humiliation inadmissible d’une nation fière et droite dans ses bottes.
Pour ceux qui se demandent – et ils sont nombreux, à juste titre – si « populiste » n’est pas un adjectif galvaudé, utilisé à trop de sauces, l’actualité livre tout de même quotidiennement des illustrations parfaites de ce qui fait l’essence même du populisme.
Prenons le tweet rageur du député européen Angelo Ciocca, membre de la Lega, le parti d’extrême droite de Matteo Salvini. Ayant écrasé, littéralement, de sa « semelle de chaussure fabriquée en Italie » le texte présenté par Pierre Moscovici, il n’a pas tardé à s’en vanter sur les réseaux sociaux. Et en tout juste 252 caractères, il arrive à glisser tous les ingrédients recommandés par le manuel du parfait petit populiste :
- D’abord, la référence obligatoire au « peuple» qu’il est le seul à représenter, car bien entendu, en évaluant un exercice budgétaire selon des critères bien définis, la Commission exprime – avec « une montagne de mensonges » – son mépris pour l’Italie toute entière – « hashtag-nostro-paese-trois-points-d’exclamation ».
- Ensuite, il n’oublie pas la petite musique de fond anti-élitiste et anti-intellectuelle: selon lui, les « hashtag-Euro-Imbéciles doivent enfin comprendre » ce que le peuple veut. C’est l’Italie d’en-bas contre l’Europe d’en-haut.
- Et surtout, il met bien en avant l’humiliation insupportable subie par l’Italie au sein de l’Europe, alors qu’elle – je cite – « mérite le respect ». Qu’on se le dise alors : « ELLE NE BAISSERA PLUS LA TÊTE-tout-en-majuscules-trois-autres-points-d’exclamation ».
La cuisine populiste, c’est toujours la même recette :
- vous faites revenir un conflit tout à fait rationnel dans une sauce émotionnelle à feu vif ;
- vous ajoutez les aromatiques ô combien délicieuses de la paranoïa – contre les élites, les étrangers, les médias, les juges, selon votre goût du moment ;
- et vous garnissez le tout d’un zeste d’indignation vertueuse de l’homme honnête qui se révolte, digne représentant du vrai peuple qui n’en peut plus.
Et l’histoire semble nous dire que cela marche ! Rien ne vaut une humiliation contre laquelle on peut s’élever. Cela a très bien marché pour les nationalistes du 19ème siècle ; cela a encore mieux marché pour les fascistes de la première moitié du 20ème siècle ; et plus récemment, cela a plutôt bien marché en ce début de 21ème siècle pour les « Trumpistes », les « Brexiteers » ou les idéologues de la démocratie illibérale en Hongrie ou en Pologne. Et maintenant en Italie. Un bilan plutôt déprimant.
Faut-il pour autant céder au pessimisme ? Pas nécessairement.
Pour rester dans la métaphore culinaire : le populisme, c’est comme la malbouffe. Elle cherche à flatter nos envies primaires et finit par abîmer notre sensibilité gustative. Mais des chefs de cuisine politiques, si j’ose dire, qui au lieu de succomber à la tentation de servir ce qui semble être au goût du jour, restent fidèles à leurs valeurs, en développant une gastronomie exigeante, mais accessible à tous, peuvent convaincre. Et des citoyens qui savent identifier les ingrédients de la recette populiste se donnent les moyens de choisir, en toute connaissance de cause, leur plat de résistance.