Le climat est-il le grand perdant du libre-échange ? Retour sur l’opposition française aux négociations commerciales avec les États-Unis.

Par Manon Damestoy.
Malgré l’opposition du gouvernement français, le 15 avril dernier, le Conseil de l’Union a donné son feu vert à l’ouverture de nouvelles négociations commerciales avec les États-Unis. Cette relance « inattendue » des relations commerciales avec les États-Unis fait suite à la déclaration conjointe UE-États-Unis de l’été 2018 qui prévoyait de renouer les liens avec un partenaire américain distant depuis l’arrivée au pouvoir de Donald Trump.

Un sentiment de déjà vu…

L’ouverture de nouvelles négociations commerciales avec Donald Trump ne fait cependant pas l’unanimité et fait craindre pour beaucoup, un « TTIP bis ». On se souvient de l’opposition historique des citoyens européens (et ONGs) au désormais fameux TTIP (Partenariat Transatlantique de Commerce et d’Investissement), cet accord commercial approfondi abandonné à l’été 2016 par l’Union sous l’effet conjugué de cette mobilisation exceptionnelle et du changement de présidence aux États-Unis.

Aujourd’hui, c’est la France qui a dit « non » à la réouverture des négociations avec le géant américain. Un refus français et, une abstention remarquée de la Belgique, toujours divisée sur ce dossier, n’auront cependant pas suffit à rejeter les mandats de négociations. Ces derniers ont obtenu la majorité qualifiée suffisante à leur approbation. (A savoir, le soutien d’au moins 55% des États représentant 65% de la population européenne.)

 

Pourquoi la France a dit « non » ?

« Nous défendons une Europe exemple pour le climat. La France s’oppose au lancement d’une négociation commerciale avec les Etats-Unis qui se placent en dehors de l’Accord de Paris. ». C’est ce que nous pouvions lire sur le compte Twitter du Président français le 11 avril 2019. Déjà en septembre 2018 il déclarait devant l’Assemblée des Nations Unies: « Ne signons plus d’accords commerciaux avec les puissances qui ne respectent pas l’Accord de Paris. Faisons en sorte que nos engagements commerciaux intègrent nos contraintes environnementales et sociales. ».

Emmanuel Macron pointe ici du doigt la menace du retrait américain de l’accord de Paris brandie par Donald Trump depuis son arrivée à la Maison Blanche. En cohérence avec sa position de ne pas négocier  avec un État ne respectant pas ses engagements internationaux en matière climatique, ni sous la menace du rétablissement de taxes douanières sur certains produits européens brandie par les États-Unis ces derniers mois, le Président français a donc refusé ces nouveaux mandats.

 

Le climat, nouveau cheval de bataille du Président français ?

Déjà très présente durant sa campagne présidentielle, la lutte pour le climat et la mise en œuvre de l’accord de Paris semble être devenue le cheval de bataille de la politique étrangère d’Emmanuel Macron. Pourtant, depuis son élection en 2017, le Président Macron a déjà soutenu le CETA (accord avec le Canada), signés deux nouveaux accords de libre-échange ainsi que les mandats de négociation pour deux autres. Alors, ces partenaires commerciaux respectent-ils davantage leurs engagements internationaux en matière environnementale et surtout, ces accords commerciaux les obligent-ils à cela ?

En septembre 2017, juste avant l’application provisoire du CETA signé par François Hollande, Emmanuel Macron a reçu le rapport d’un groupe d’experts indépendants chargés, par le gouvernement, d’étudier l’impact du CETA. Le groupe d’experts écrit dans son rapport : « Les chapitres de l’accord concernant l’environnement ont le mérite d’exister, mais ils ne contiennent  aucun engagement  contraignant […] Le grand absent de l’accord est le climat. ». En effet, si la bataille wallonne de 2016 a permis l’inscription de l’accord de Paris dans le CETA, ce dernier, comme l’ensemble des dispositions en faveur du climat et du développement durable, reste non-contraignant. Prenant acte de ce rapport, le Président français a alors lancé un « plan d’action CETA » afin de répondre aux risques soulevés par les experts.

Pourtant, un an après, les engagements pris par le gouvernement semblent être restés lettres mortes. Le CETA n’a pas bougé et les risques présents dans ce dernier semblent avoir été répliqués dans les nouveaux accords, accords signés par Emmanuel Macron.

 

Le climat, grand perdant du libre-échange ?

En 3 ans, 3 accords commerciaux ont été signés, dont deux par le Président français, l’accord avec le Japon et celui avec Singapour. (En plus des mandats pour l’Australie et la Nouvelle-Zélande). Quels changements depuis le CETA ? Peu de chose finalement.

Pour la première fois, le JEFTA fait directement référence à l’accord de Paris ainsi qu’au principe de précaution propre à l’Union. De la même façon, l’accord avec Singapour prévoit un chapitre développement durable et la nécessité par les Parties de respecter leurs engagements internationaux en la matière. Cependant, aucune de ces dispositions ne sont présentes dans les clauses essentielles et contraignantes de ces accords, laissant ainsi planer un doute raisonnable quant à leur poids réel. Tous les accords précisant par ailleurs, chacun à leur façon, que les politiques climatiques ne doivent en aucun cas être « une restriction déguisée au commerce », plaçant ainsi le commerce au-dessus des objectifs climatiques. Enfin, aucune mention n’est faite à un possible « véto climatique » promis par le Président français en réponse aux doutes formulés par ses experts. Ce véto devait rendre impossible toute poursuite devant un tribunal d’arbitrage des politiques climatiques d’une des Parties par une entreprise se sentant lésée.

 

Une politique commerciale européenne ambigüe

Si des améliorations certaines ont été apportées au fil des négociations commerciales, le climat semble malgré tout être le grand perdant des accords signés par l’Union et ses États membres ces trois dernières années.

En s’opposant à l’ouverture des négociations avec les États-Unis, Emmanuel Macron apporte une réponse partielle à la peur d’un « TTIP bis » et se place en défenseur européen du climat. Cependant, la signature par la France des accords commerciaux avec le Japon et le Singapour et l’approche imminente des élections européennes (avec une inquiétude particulière des citoyens européens face à la question climatique) permettent d’émettre un doute légitime quant à la réelle motivation climatique du Président français. Par ailleurs, le vote à la majorité qualifiée au Conseil a sans doute favorisé cette posture politique. Quand on sait que son refus de signer n’aura aucune conséquence sur l’adoption des mandats de négociations, mais sera fortement médiatisé, cela facilite évidemment l’attitude de « résistance ».

Cette posture ambigüe est également celle de l’Union dans sa manière d’appréhender le commerce. La multiplication des accords commerciaux bilatéraux ces dernières années pose la question de la climato-compatibilité de la politique commerciale européenne et plus largement, de la compatibilité du libre-échange avec les objectifs climatiques de l’accord de Paris.

L'auteur

Manon Damestoy

Doctorante en sciences politiques à l'Université de Nantes et l'Université de Saint-Louis de Bruxelles

Au sein du laboratoire Droit et Changement Social, de l’Ecole doctorale Droit et Sciences politiques, Manon Damestoy prépare une thèse sur « La démocratie européenne en question : le cas des accords de libre-échange » en cotutelle internationale, sous la direction d’Arnauld Leclerc (DCS, Université de Nantes) et de Florence Delmotte (Institut d’études européennes, Université de Saint-Louis-Bruxelles). Manon participe également à la gestion de la Chaire TEN d’Arnauld Leclerc et à la numérisation des travaux de Jean-Marc Ferry.

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