Albrecht Sonntag nous revient avec un article sur les résultats d’une enquête composée de huit questions clés au sujet de la perception de l’Union européenne actuelle permettant de dégager plusieurs tribus plus ou moins ouvertes sur l’Union Européenne.
En décortiquant le concept d’Euroscepticisme, il a été aisé de voir qu’en politique, les catégorisations sont certes des raccourcis pratiques qui permettent de voir plus clair dans l’offre des idées, mais elles renvoient aussi à des champs sémantiques qui sont par définition instables dans le temps, utilisées en fonction des agendas idéologiques, et à terme assez problématiques.
A une époque où beaucoup de classifications habituelles et de labels politiques bien établis sont en pleine mutation – il suffit de penser à la bonne vieille dichotomie gauche-droite qui est en train de se faire « bulldozer » devant nos yeux – il est important de différencier.
Une tentative originale pour introduire de la clarté conceptuelle vient d’être publiée par le Chatham House, think-tank géopolitique de renom basé au Royaume-Uni, en introduisant le concept de « tribus européennes ».
Des « tribus », c’est une dénomination qui fait sourire, mais elle est issue d’un travail tout à fait sérieux. Le point de départ est que les catégories binaires du genre « pro-Européens » contre « Eurosceptiques » sont parfaitement insuffisantes pour refléter les nuances des attitudes envers l’intégration européenne. Là-dessus, il n’est pas difficile d’être d’accord.
Ensuite, sans idées préconçues, les chercheurs ont créé une enquête relativement simple composée de huit questions clés au sujet de la perception de l’Union européenne actuelle qu’ils ont ensuite administré à un échantillon de 10 000 citoyens de dix Etats-membres européens. Et c’est à partir de l’analyse des données recueillies qu’ils ont, à l’aide du procédé statistique savant de « l’analyse des classes latentes », fini par dégager six « tribus » différentes.
Ils les ont affublées d’étiquettes parlantes, les voici en ordre de taille :
- Un bon tiers de nos concitoyens sont des « Européens hésitants » (« Hesitant Europeans »), plutôt indifférents à la politique en général, plutôt négatifs sur la question de l’immigration, et assez dubitatifs envers une organisation supra-nationale quand il s’agit de trouver des solutions à leurs problèmes quotidiens. Plutôt féminins, d’ailleurs. Cette tribu a besoin d’être persuadée que l’Union sert à quelque chose ;
- 23 pour cent d’entre nous sont des « Européens satisfaits » (« Contented Europeans »). Leur description se lit comme le prototype des membres d’En Marche ! Des « sociaux-libéraux », avec un nombre disproportionné d’étudiants ou de jeunes cadres. Pour eux, l’Europe rime d’abord avec opportunité ;
- En revanche, 14 pour cent des Européens sont des « EU rejecters », joliment traduit par « Réfractaires à l’Union », ce qui est tout de même plus précis que « Eurosceptiques », vous en conviendrez. Souverainistes, plutôt nationalistes, anti-immigration, en colère contre la politique en général. Surtout des hommes d’âge moyen ;
- Il y a trois tribus qui regroupent moins de 10 pour cent d’entre nous :
- les « pro-Européens déçus » (« Frustrated Pro-Europeans »), des personnes bien ancrées à gauche et attristées par le manque de solidarité européenne ;
- les « Rebelles contre l’austérité » (« Austerity Rebels »), écœurés notamment par la manière dont l’Europe a répondu à la crise économique, et très présents dans les pays du Sud ;
- et enfin, la plus petite tribu, avec 8 pour cent, les « Fédéralistes », pour qui la finalité de l’intégration européenne est toujours les « Etats-Unis d’Europe » avec tout ce que cela implique.
C’est une classification qui a déjà le mérite de casser des catégories à tendance binaire. Et dans le rapport téléchargeable (en anglais), elle rend compte du fait que les deux tribus extrêmes, les « réfractaires » et les « fédéralistes », exercent en fait une influence disproportionnée, très polarisante, sur le débat public. Elle démontre, enfin, que la tribu la plus large est en même temps la plus indécise. « Hésitante », justement, comme son nom l’indique. On comprend aussi que l’appartenance à telle ou telle tribu n’est pas gravée dans le marbre, mais plutôt fluctuante, et que la nationalité d’un individu n’est pas une variable explicative.
Dans l’ensemble, c’est une contribution plutôt pertinente au débat de la part du Chatham House. Envie de savoir dans quelle tribu vous vous situez ? Ils ont mis en ligne un petit test interactif – en français aussi ! – qui vous permet de le savoir en quelques clics !
- Lien vers le test : https://tribes.chathamhouse.org/fr/