État des lieux d’une cacophonie grotesque

Où en est-on donc en ce début 2017, plus de six mois après le vote sur le Brexit ? Force est de constater qu’on assiste à une véritable cacophonie gouvernementale.

La Première ministre, Theresa May, tout en répétant à qui veut l’entendre sa fameuse phrase « Brexit means Brexit » – censée sans doute illustrer son respect absolu pour le verdict des urnes – fait tout pour jouer la montre avant d’activer le désormais célèbre article 50 du Traité et de signaler ainsi à ses 27 futurs ex-partenaires que son pays compte bel et bien officiellement sortir de l’Union. Vu l’accueil plutôt glacial qu’elle a reçu lors des derniers sommets européens et le refus – remarquablement solidaire – de la part des Vingt-Sept d’entrer dans quelque négociation que ce soit en amont, on peut douter que cette stratégie soit payante.

Madame May et son Ministre du Brexit (si, si, ça existe), David Davis, ont également dû essuyer un premier camouflet en apprenant par la Haute Cour du Royaume qu’étant donné l’importance de la décision qui touche directement des droits des citoyens britanniques, il appartient aux deux chambres du Parlement, et non pas au pouvoir exécutif, de déclencher l’article 50. Le gouvernement a fait appel, le jugement est actuellement en délibération.

La Ministre de l’intérieur Amber Rudd (grande promotrice de l’UE durant la campagne référendaire aux cotés de David Cameron) a fait du zèle de xénophobie discriminatoire avec des propositions choc anti-immigration comme des « listes » (noires ?) d’employés européens que les entreprises devaient publier. Elle a vite été amenée à faire marche arrière.

C’est notamment le Chancelier de l’échiquier (= Ministre des finances et du trésor) Philip Hammond qui a fermement contredit sa collègue. D’autant qu’il commence à avoir des doutes sur le bien-fondé du Brexit même, notamment sur le plan économique. Certains lui demandent de démissionner, ce qui oblige sa Première ministre de l’assurer publiquement de son « entière confiance ». Le genre d’affirmation qu’on entend toujours des présidents de clubs de football envers leur entraîneur, juste avant qu’ils ne finissent par le licencier.

Moins surprenant : le cynisme de Boris Johnson, le Ministre des affaires étrangères. S’il fallait encore une preuve de son opportunisme carriériste, elle a été fournie par la publication d’un article résolument pro-européen daté du 19 février 2016, mais jamais publié, puisque son auteur s’était mis courageusement à la tête du camp du « Leave » le lendemain même ! Johnson a aussi réussi, en un temps record, à se rendre assez impopulaire parmi ses homologues européens – son humour très british a du mal à provoquer l’effet désiré en-dehors du Royaume.

Ivan Rogers

Début janvier 2017, la démission surprise de Sir Ivan Rogers, l’ambassadeur du Royaume-Uni à Bruxelles très apprécié par ses homologues pour sa fine connaissance du fonctionnement de l’Union, a jeté un trouble supplémentaire. Sa lettre de démission, qui a vite filtré sur les réseaux sociaux, en dit long sur son exaspération à faire entendre à la nouvelle équipe gouvernementale les points de vue des autres.

Ce qui est peut-être plus grave que la cacophonie ambiante, c’est le vocabulaire de plus en plus amer et chargé d’animosité qui la sous-tend, notamment de la part des vainqueurs du référendum (décidément, on n’est pas à un paradoxe près).

Quand on se donne la peine de plonger dans les commentaires des lecteurs de la presse en ligne, on s’aperçoit de la profondeur du clivage entre les deux camps. Chaque tentative de dessiner des scénarios possibles – aussi constructive soit-elle – est aussitôt dénoncée par des rappels du genre « Vous avez perdu ! Acceptez-le enfin ! ». Le moins qu’on puisse dire est que cela ne fait guère avancer le Schmilblick. Tout comme le néologisme péjoratif « Bremoaners » appliqué notamment dans la presse tabloïd à ceux qui avaient voté pour le « Remain » : faisant allusion au verbe « to moan », il évoque de mauvais perdants qui « pleurnichent », « geignent », « se lamentent ». Comme fair-play, on a déjà vu mieux de l’autre côté de la Manche.

Heureusement, dans toute cette atmosphère empoisonnée, il reste un peu d’humour so british. Consolons-nous avec le sketch hilarant mis en ligne sur YouTube (et gentiment sous-titré en anglais) par les chercheurs de « Scientists for EU » et mettant en scène un appel au service d’après-vente du Brexit. Quant au retour de ce « produit défaillant », on cependant a un peu de mal à y croire.

L'auteur

Albrecht Sonntag

Albrecht Sonntag

Albrecht Sonntag est membre d’Alliance Europa. Il est professeur d’études européennes à l’EU-Asia Institute de l’ESSCA Ecole de Management (Angers).

Albrecht Sonntag est membre d’Alliance Europa. Il est professeur d’études européennes à l’EU-Asia Institute de l’ESSCA Ecole de Management (Angers).

Albrecht Sonntag est à l’origine du Multiblog Alliance Europa et a dans ce cadre animé un atelier « Blogging : Pourquoi et Comment ? » à destination des doctorants.

Il a également été un des organisateurs du Colloque sur l’impact du Brexit sur les Pays de la Loire et de la journée sur la contribution du sport à l’intégration des migrants et réfugiés en Europe.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *