Par Patrick Bijsmans.
L’année 2017 est considérée comme une année à grands enjeux électoraux, avec des scrutins importants dans plusieurs Etats-membres fondateurs, comme l’Allemagne, la France, et les Pays-Bas. Dans le sillon du vote britannique en faveur du Brexit et de l’élection de Donald Trump aux Etats-Unis, des partis populistes ont une bonne chance de dominer le scénario de ce feuilleton.
Le premier épisode se déroulera donc aux Pays-Bas. Aux élections générales du 15 mars, tout semble réuni pour approfondir davantage la fragmentation du paysage politique. Les citoyens ont le choix entre pas moins de 28 formations, parmi lesquelles des partis établis comme les Démocrates Chrétiens du CDA, les Sociaux-Démocrates du PvdA, ou les Libéraux du VVD, mais aussi de nouveaux arrivés qui portent des noms comme « Parti pour les Animaux » ou « Jésus est Vivant ». Et il y a, bien sûr, le Parti de la Liberté (PVV) de Geert Wilders.
Les Pays-Bas sont une illustration parfaite de que le politologue Arend Lijphart a qualifié de « démocratie de consensus », un régime qui se caractérise par un grand nombre de partis, représentés de manière proportionnelle, et un partage du pouvoir entre différents groupes sociaux. Le processus politique néerlandais est marqué par la recherche de consensus larges, incarnés dans des coalitions censées prendre en considération les souhaits des minorités politiques. L’époque de la « pilarisation », qui s’étale de 1917 jusqu’aux milieu des années 1960, représente l’apogée de la politique de consensus à la néerlandaise. Durant cette période, la société était divisée en quatre « piliers » – les Catholiques, les Protestants, les Socialistes, et les Libéraux – qui avaient un impact sur quasiment toutes les sphères de la vie sociale. Et même pendant la période de polarisation accrue et de concurrence politique plus exacerbée qui a suivi, l’approche consensuelle est restée au cœur de la culture politique du pays.
Aujourd’hui encore, savoir conclure des coalitions est un préalable à toute formation d’un gouvernement, ainsi qu’à la gestion quotidienne du pays. Des cabinets composites doivent répondre ensemble devant le parlement. Le gouvernement sortant en 2017 est une coalition entre PvdA et VVD, dirigé par un Libéral, Mark Rutte. Ce gouvernement a bénéficié d’une majorité dans la chambre principale du Parlement (l’Assemblée), mais avait besoin de solliciter le soutien d’autres partis pour disposer d’une majorité dans l’autre chambre, le Sénat, qui est appelé à approuver la législation issue de l’Assemblée.
La participation a toujours été assez élevé aux Pays-Bas. Elle tourne autour de 70% depuis l’abolition du vote obligatoire en 1970. Ceci dit, comme dans d’autres pays, la volatilité des électeurs a augmenté avec le déclin de l’adhésion aux partis politiques et des appartenances traditionnelles aux idéologies, aux classes sociales et aux religions. Les grands partis sont moins dominants, et des formations comme les Libéraux Sociaux de « D66 » ou les Ecologistes de « GroenLinks » se sont installées durablement.
De plus, depuis le début des années 2000, de nouveaux partis ont fait leur apparition, caractérisés par des points de vue plus radicaux et des stratégies populistes qui attirent des électeurs déçus. Certains d’entre eux, comme le LPF de Pim Fortuyn, n’ont pas duré longtemps. D’autres, comme Geert Wilders, ont réussi à bénéficier d’un succès ininterrompu depuis une bonne dizaine d’années.
Il faut dire que le système de la représentation proportionnelle avec un seuil particulièrement bas d’environ 0,7% dans un scrutin national unique donne la prime aux petits partis. Il encourage aussi les divisions et fusions entre partis, suite à des différends internes. Depuis les élections de 2012, huit députés ont quitté leurs partis respectifs pour former six nouveaux groupes parlementaires, dont la plupart se représentent cette année. Le grand nombre de partis peut en effet être considéré comme l’un des inconvénients majeurs de la proportionnelle, puisqu’il complique la prise de décision. D’où le besoin de fonder les gouvernements de coalition sur des accords de coalition très détaillés. Ces accords sont conclus après de longues négociations – le record étant de 208 jours (ce qui est loin du record belge de 541 jours, mais reste tout de même impressionnant). La dernière fois, 54 jours ont suffi.
Pour les partis de l’opposition, cela ne signifie pas pour autant qu’ils soient privés de toute influence. Au sein des comités parlementaires, ils ont leur mot à dire lors de la rédaction des propositions de loi. Par conséquent, ils soutiennent souvent le gouvernement au moment du vote. Et même si l’influence de certains nouveaux partis est restée limité, ils n’ont pas été sans impact indirect sur les programmes des partis établis et sur le discours politique en général. Tout au long de l’histoire politique néerlandaise, les grands partis ont souvent adopté et intégré les idées des petits nouveaux. Voilà l’un des avantages principaux de la représentation proportionnelle : elle fait de la place aux idées de toute la diversité des groupes dans un paysage peuplé de minorités relatives.
Les sondages suggèrent que 14 des 28 partis concurrents puissent accéder au parlement le 15 mars prochain. La course entre le PVV et le VVD reste serrée, ils sont tous les deux autour de 17% d’intentions de vote. Le CDA, D66 et les Verts tournent autour de 10 à 11%, suivis par le PvdA à 8%. Comme tout le monde ou presque exclut une coalition avec Geert Wilders, il semble plus que probable que le prochain gouvernement comprendra au moins quatre partis. Attendons-nous donc à un processus de négociation compliqué qui mettra la patience des Néerlandais à rude épreuve. Par le passé, les leaders politiques ont prouvé qu’ils peuvent réussir à passer ce cap. Et à moins qu’un parti ne revienne sur son refus de travailler avec Wilders, ils y seront bien obligés.