Une élection parlementaire en Italie dimanche prochain, et une fois de plus le paysage politique paraît à la fois chaotique et curieusement pauvre en idées. Est-ce parce qu’ils savent combien les citoyens sont fatigués de la politique et la plupart des partis ne sent même plus la nécessité d’inclure dans leurs programmes des propositions dont on pourrait vérifier la faisabilité ? Pourtant, ne serait-ce que par rapport à la dette publique, un minimum de réalisme aurait été utile…
Mais même sans être chiffrées, il est évident que beaucoup de propositions avancées par les différents groupements politiques ne sont absolument pas réalisables. Sur quoi se fonde alors le débat politique ? Juste sur des émotions ? En Italie, les candidats organisent leurs réunions publiques avec l’intention première de dénigrer les autres concurrents. Convaincre les électeurs de son propre programme est secondaire. Dès lors, il est peu surprenant que faire appel à la colère des gens est la stratégie la plus partagée. Notons que l’Italie n’en a pas le monopole, on peut suivre la même tendance dans beaucoup de pays d’Europe.
Malgré le vide général en matière de contenus, les règles et acteurs principaux de ces élections valent qu’on s’y attarde.
Le parlement italien est composé de deux chambres. Par conséquent, les électeurs auront deux bulletins, l’un pour la Chambre des Députés (630 membres), et l’autre pour le Sénat de la République (315 membres élus plus cinq nommés à vie), vu que Matteo Renzi a échoué en 2016 avec sa tentative de réformer le Sénat.
Jusqu’ici, cela semble assez simple. Mais la nouvelle loi électorale approuvée en octobre 2017 est d’une complexité remarquable. Il s’agit d’un système mixte : tous les députés élus par les Italiens de l’étranger (2% des sièges), ainsi qu’environ un tiers des autres députés, seront élus selon un scrutin majoritaire, alors que les deux tiers restants le seront selon un scrutin proportionnel. Les croix sur les bulletins comptent pour les deux.
Il ne faudra d’ailleurs pas sous-estimer le poids des Italiens de l’étranger : ils sont près de 5 millions, ce qui est presque le même nombre que les immigrés (5,3 millions), une coïncidence qui rend la résurgence actuelle de la xénophobie et des sentiments anti-immigration dans ce pays d’autant plus triste à contempler.
Etant donné la fragmentation du paysage politique et l’incapacité historique des gouvernements à obtenir la confiance du Parlement, l’idée du nouveau système est d’éviter la dispersion des votes parmi des groupuscules minoritaires que produirait une proportionnelle intégrale. Ceci dit, les partis sont tellement loin d’obtenir une majorité stable qu’ils sont obligés de bricoler des coalitions bancales qui ne survivront guère au vote et rendent le paysage politique encore plus confus, puisque des candidats – que beaucoup opposent – font campagne ensemble.
Techniquement, les partis ont deux options : soit ils se présentent seuls dans les circonscriptions, auquel cas il leur faudra passer au-dessus du seuil de 3% des votes pour obtenir des sièges, soit ils s’engagent dans une coalition annoncée, auquel cas le seuil passe à 10%. Une autre nouveauté est que la loi abolit le bonus de la « majorité automatique » attribué au groupe qui dépasser 40% des votes.
Si l’on en croit les derniers sondages, la coalition de droite est le vainqueur attendu. Cette coalition regroupe :
- Forza Italia (« Allez l’Italie »), le parti de Berlusconi qui, à 81 ans, participe activement à la campagne malgré son inéligibilité suite à une condamnation pour fraude fiscale ;
- La Lega Nord (« Ligue du Nord »), un parti xénophobe des régions riches septentrionales, qui habille, afin de gagner des voix dans le Sud honni, son agenda séparatiste sous le terme de « fédéraliste » ;
- Les Fratelli d’Italia, un parti post-fasciste, nationaliste et ultra-conservateur, dont le nom est emprunté à la première ligne de l’hymne national, initialement un « spin-off » du parti de Berlusconi après les soucis judiciaires de ce dernier, mais désormais réunis avec lui dans cette nouvelle coalition.
Les deux derniers sont très proches du Front national, et adoptent par conséquent une attitude farouchement anti-européenne.
En deuxième position des intentions de vote, il y a le Movimento 5 Stelle (« Mouvement 5 Etoiles »), le mouvement anti-establishment et également anti-européen. Maintenant que la Maire de Rome est issu de ce groupe, ils sont eux-mêmes déjà impliqués dans des scandales dans la capitale. Qui plus est, plusieurs affirmations controversées de certains membres indiquent, de manière assez préoccupante, un glissement vers des intentions autoritaires, comme leur demande de voir interdire de métier certains journalistes critiques à leur égard, dont ils tiennent apparemment déjà une « liste noire ».
Finalement, il y a la gauche, définitivement pas en très bonne forme. A côté du Partido Democratico de Matteo Renzi, elle comprend Liberi et uguali (« Libres et égaux »), un parti créé en 2016 par des frondeurs de gauche après la défaite de la réforme constitutionnelle de Renzi par voie de référendum. Mais ce parti n’apporte rien de nouveau : il est composé de vieux politiciens, et en contribuant à la fragmentation de la gauche, il augmente en fait les chances de la droite ou du Mouvement 5 Etoiles.
Dans ce contexte morose, il y aurait vraiment de la place pour l’émergence du mouvement centriste, libéral et pro-européen comme « En Marche ! », mais ce n’est guère probable. Le nouveau mouvement +Europa (prononcer « piou-Europa ») mené par la très respectée Emma Bonino (70 ans) a sans doute été créé trop tardivement (en novembre 2017) et ne possède pas assez de force pour l’instant.
Voilà où nous en sommes. Faut-il faire confiance aux sondages ? Un grand nombre d’électeur est encore indécis, il y a un sérieux risque d’une abstention record. Comme il est interdit de publier des sondages durant les dernières deux semaines de campagne, tout peut encore évoluer. Mais quelque soit le résultat, il est peu probable que l’Italie soit en mesure de se doter d’un gouvernement soutenu par une large majorité et capable de s’inscrire dans la durée. C’est une tendance historique, avec plus de 60 gouvernements depuis l’instauration de la République en 1946.
Tout le monde est bien conscient que l’instabilité gouvernementale chronique est l’un des obstacles majeurs pour le renouveau de l’économie italienne et, plus important encore, de la société. Et pourtant, le système paraît impossible à ébranler. Un glissement lent, inévitable, vers le déclin, les yeux grands ouverts mais sans aucun Macron en vue – est-ce vraiment le destin de l’Italie pour les années à venir ?