Par José Moisés Martin
Le 1er octobre prochain, quelque chose va se passer en Catalogne et, par conséquent, en Espagne. Sauf que personne n’est en mesure de dire ce qui adviendra exactement. Le gouvernement catalan est fermement décidé à tenir un référendum sur l’indépendance de la Catalogne, pendant que le gouvernement central espagnol est tout aussi fermement décidé d’empêcher qui que ce soit d’y participer. L’incertitude est à son comble.
Le 6 septembre dernier, le parlement régional catalan a adopté une loi appelant à un référendum sur le territoire catalan le 1er octobre. Il s’y était engagé depuis son élection en 2015. Le problème de ce texte est que sa mise en œuvre violera nécessairement la Constitution espagnole (et même l’actuelle constitution régionale catalane !). La loi a été adopté après minuit, pendant que l’opposition était en train de quitter le parlement en guise de protestation et que les huissiers du parlement refusaient d’y apposer leur signature. Il est vrai que le parti indépendantiste y occupe la majorité des sièges, mais il représente moins de 50% des électeurs. Les partis d’opposition – Ciudadanos (ALDE), le Parti Populaire (PPE) ou le Parti Socialiste Catalan (S&D) – se sont opposés à cette loi, pendant que les gauchistes du CSQP (GUE-NGL) se montrèrent critique, mais étaient déchirés en interne sur la question.
Depuis cette nuit, l’ensemble des institutions nationales espagnoles s’est sont employée à empêcher ce référendum : la Cour Constitutionnelle a décidé de suspendre la loi concernée ; le Procureur Général a même annoncé des plaintes contre toute personne collaborant à la mise en œuvre de ce vote ; le gouvernement central a annoncé qu’il allait geler les avoirs en banque du gouvernement catalan ; et les différents corps de police (sur le plan national, régional et même local) ont été chargés de poursuivre toute initiative en faveur du référendum, y compris la saisie de toute propagande. En dernier recours, le gouvernement espagnol peut encore déclencher l’article 155 de la Constitution, qui lui permet de carrément suspendre le gouvernement catalan. Ce serait alors un genre de « bombe nucléaire constitutionnelle » qui auraient des conséquences imprévisibles.
Durant cette offensive tous azimuts, le gouvernement catalan poursuit son idée de tenir sa consultation populaire. Il a demandé aux autorités locales de soutenir cette initiative en rendant des bâtiments officiels locaux disponibles en tant que bureaux de vote. D’ores et déjà, à peu près 700 des 900 autorités locales catalanes ont répondu présentes.
Pour le mouvement indépendantiste, le raisonnement est très limpide : pour eux, la Constitution espagnole et la Constitution régionale ne s’appliquent tout simplement plus sur le territoire de la Catalogne. A la place, il y a la loi du référendum ainsi que la « loi de transition » adoptée en même temps, même si les deux ont été suspendues par la Cour Constitutionnelle espagnole. Le gouvernement catalan prétend que ses aspirations sont fondées sur le droit international, mais pour l’instant, aucune organisation internationale ne les a ouvertement soutenues.
Prise en sandwich par cette pagaille politique, la société civile est en train de se briser en deux : tout le monde réclame (et se réclame) de la démocratie, mais visiblement, « démocratie » signifie des choses différentes selon le camp. Pour une moitié des citoyens, la démocratie est le droit de décider soi-même de l’avenir de son pays ; pour l’autre moitié, la démocratie est le respect de l’État de droit.
Cette polarisation est en train de s’approfondir. Bien que la société catalane soit divisée en deux parts presque égales (avec un petit avantage pour les positions non-sécessionnistes), les Catalans non-nationalistes ont le sentiment que leur propre gouvernement ne les prend pas en compte. En même temps, la mobilisation politique des groupes sécessionnistes est tellement plus visible, occupant l’espace et le débat publics. On peut s’estimer heureux que jusqu’ici, il n’y ait pas encore eu de heurts violents dans les rues. Dans le reste de l’Espagne, les partis de la gauche observent avec suspicion les efforts du gouvernement central de réprimer le référendum, critiquant la manière dont Mariano Rajoy aborde à ce défi.
Les causes profondes de la situation sont à la fois historiques et cycliques. La Catalogne était habituée à avoir un statut spécial d’auto-gouvernement depuis le Moyen-Age jusqu’au XVIIIe siècle. C’est alors qu’une nouvelle dynastie – les Bourbons – a décidé d’y mettre fin. Durant la Seconde République (de 1931 à 1936), la Catalogne a partiellement pu recouvrir son ancien statut, mais pendant les décennies suivantes, le régime de Franco lui a infligé une répression massive. Au moment de la transition démocratique à la fin des années 1970, un nouveau statut d’autonomie lui a été accordé, mais jamais au même niveau qu’auparavant. Ce n’est qu’en 2006 que la nouvelle Constitution régionale a retrouvé un degré plus élevé d’autonomie, mais le Parti Populaire de Rajoy demanda à la Cour Constitutionnelle de le réviser. Il en résulta une nouvelle diminution de l’auto-détermination, ce qui n’a pas manqué d’exaspérer une majorité de la société catalane.
A côté de ces raisons historiques, des raisons cycliques comptent aussi. La récente crise économique et financière a érodé le compromis politique entre les Catalans et le reste du peuple espagnol. Bien que la plupart des électeurs indépendantistes soit issue des classes moyennes et supérieures, la crise a renforcé les tendances séparatistes parmi eux. Ils prétendent que la Catalogne ne reçoit pas sa part juste de financements pour se développer, alors qu’ils payent plus d’impôts que d’autres régions. Selon des calculs nationalistes, l’écart entre ce que la Catalogne donne au budget national et ce qu’elle en reçoit est de 16 milliards d’Euro par an, alors que des sources non-nationalistes le chiffre autour de seulement deux milliards.
A ce stade, le dialogue, aussi urgent soit-il, n’est plus guère envisageable. On assiste à un grand « Jeu de la Barbichette », dans lequel chaque côté attend que l’autre lâche. Après des années d’une rhétorique publique combative de la part de chaque camp, se montrer prêt à des concessions serait désormais un signe de faiblesse non-excusable. Les dernières opportunités de trouver un arrangement acceptable pour tous ont été gaspillées entre 2006 et 2012. Tel que cela se présente maintenant, l’optimisme n’est plus de mise.