Par Albrecht Sonntag et Simon Usherwood
Hier, l’élection partielle dans la circonscription de Stoke-on-Trent – une vieille ville industrielle en détresse qui avait voté à 69% (!) pour le Brexit au référendum de juin dernier – était une opportunité rêvée pour le fameux UKIP (le « United Kingdom Independence Party »), de transformer l’essai et de démontrer qu’il avait bel et bien un avenir même s’il avait atteint son grand objectif initial.
Il faut dire que le grand triomphe du référendum 2016 avait été à la fois un aboutissement pour ce parti protestataire et le début d’une période de grande incertitude. Une fois le Brexit acquis, à quoi l’UKIP pourrait-il bien servir désormais ?
La pertinence de cette question a encore été accentuée par des lendemains post-référendum quelque peu chaotiques, voire calamiteux pour le parti. Les tentatives de trouver un bon remplacement pour l’ancien leader démissionnaire Nigel Farage, parti en lune de miel avec Donald Trump aux Etats-Unis avant de reprendre sa place de trublion hargneux au Parlement européen, ont été plus que laborieuses. La présidente pressentie, Diana James, a jeté l’éponge après seulement 18 jours, avant qu’on ne trouve enfin, fin novembre, un successeur plus prometteur en la personne de Paul Nuttall, aujourd’hui âgé de 40 ans.
La tâche s’annonce rude pour Paul Nuttall. Non seulement, il ne possède pas le charisme populiste de son prédécesseur, mais il ne dispose pas non plus de la dynamique que fournissait la campagne référendaire.
Qui plus est, il a d’ores et déjà réussi à sérieusement endommager sa propre réputation ces dernières semaines par le biais de « couacs » de communication à répétition. Ainsi, son compte LinkedIn affichait qu’il avait obtenu un doctorat, alors qu’il n’avais jamais fini sa thèse. Idem pour son prétendu début de carrière de footballeur professionnel avec le club de Tranmere Rovers, alors qu’il y avait seulement évolué dans les équipes de jeunes. Pis encore, son site web suggérait qu’il avait perdu des amis très proches dans la tragédie du stade de Hillsborough en 1989 – le plus grand drame de l’histoire du football anglais qui a fait 96 morts – un mensonge pour lequel une collaboratrice a endossé la responsabilité après une petite semaine de flottement.
On aurait cependant tort de considérer l’UKIP comme une bande d’amateurs sans avenir. Ce parti, qui est né en résistance au Traité de Maastricht il y a 25 ans, a déjà survécu à plusieurs crises internes dans le passé. Et la stratégie annoncée par Paul Nuttall peut s’avérer payante au moyen terme, quelques soient ses frasques personnelles. Il a identifié comme cible prioritaire les anciens électeurs désillusionnés et dégoûtés du Labour dans les cités industrielles en déclin, tout en déclarant que le prochain cheval de bataille de son parti allait être l’ « identité anglaise » (la « Englishness »). Aurait-il lorgné de l’autre côté de la Manche pour s’inspirer de la réussite du Front National dans les départements du Nord de la France ?
L’élection partielle de Stoke a donc été un premier test grandeur nature pour Nuttall et sa stratégie. Le moins qu’on puisse dire est qu’il ne l’a pas réussi : avec seulement 24,7% des votes, il s’est nettement incliné devant le candidat du Labour, Gareth Snell (37,1%). Il faut dire qu’il s’y était parachuté lui-même de manière un peu cavalière, en indiquant comme adresse sur place un logement dans lequel il n’avait littéralement jamais mis le pied. Ce faux-pas, tout comme les fausses informations sur lui-même mentionnées ci-dessus, lui a visiblement coûté son siège au parlement de Westminster.
Mais c’est un autre chiffre qui devrait davantage retenir l’attention: la participation à Stoke n’a été que de 36,6%, ce qui démontre bien le désarroi de l’électorat populaire. Dès lors, Monsieur Nuttall n’avait peut-être pas tort quand il disait, en reconnaissant sa défaite, que « le temps de l’UKIP viendra ».
Avec une gauche davantage préoccupée par des luttes de pouvoir internes que par ses électeurs dans les villes pauvres, l’UKIP a effectivement de bonnes chances de pouvoir capitaliser sur la déception face aux partis établis et sur le désir de nationalisme et de protectionnisme croissant de cette partie de l’électorat. N’oublions pas que le Front National, lui aussi, a connu des débuts chaotiques et une évolution ponctuée de soubresauts, avant de découvrir qu’il pouvait, finalement, faire rimer « national » avec « social » (ils ne sont pas les premiers à associer ces deux adjectifs étroitement). Il est vrai que depuis 1945, le Royaume-Uni a toujours semblé être à l’abri d’un mouvement populiste et ouvertement nationaliste capable de s’incruster durablement dans le paysage politique. Mais le référendum sur le Brexit a révélé qu’il y avait désormais un terreau fertile.