Par Viviane Gravey
Theresa May est dans une situation paradoxale – indéboulonnable, et pourtant en train de perdre tout contrôle.
Avant Noël, elle échappait à la motion de censure de son parti. Les règles du parti conservateur sont telles que si la dirigeante du parti gagne un tel vote en sa confiance, aucune autre censure ne peut être tentée pendant 12 mois. Theresa May a donc encore au moins 11 mois à la tête des conservateurs… La semaine dernière, elle a réédité l’exploit, échappant cette fois-ci à une censure par le Parlement, puisque les conservateurs refusaient de voter avec l’opposition pour se défaire de leur Première Ministre et ainsi déclencher des élections anticipées.
Dans un pays normal et des circonstances normales, les échecs de ses opposants renforceraient le pouvoir de Theresa May. Mais le Brexit est une situation exceptionnelle, et le Royaume-Uni, avec son absence de constitution rigide et ses procédures politiques plutôt fluides, n’a rien d’ordinaire. Ainsi, l’emprise de May sur le gouvernement britannique et sur le Brexit n’est en rien consolidée. Au contraire, les prochains jours s’annoncent très difficiles pour la Première Ministre.
Résumons : la semaine dernière, Theresa May n’a pas su trouver suffisamment de voix pour soutenir l’accord qu’elle avait négocié avec les Vingt-Sept. Pire, elle a perdu de beaucoup – de 230 votes exactement – ce qui est la pire défaite parlementaire de ce siècle, ainsi que du précédent. Perdre de tant de voix n’est jamais plaisant – encore moins quand il s’agit de la politique phare du gouvernement, le seul domaine qui compte encore réellement.
Le débat politique britannique a été complètement phagocyté par le Brexit. L’action publique aussi. Près de 4000 fonctionnaires dans tous les ministères ont été réaffectés à la préparation d’un Brexit sans accord – tout ce qui n’est pas urgent doit attendre que le Brexit soit résolu, avec ou sans accord. Tout le reste de l’action gouvernementale est prié de patienter. Et, pour le cas où les fonctionnaires ne suffiraient pas, les réservistes de l’armée britannique se tiennent prêt.
Que doit on attendre des prochains jours ?
La semaine va commencer par un discours de Theresa May, encore un, à la Chambre des Communes. Obligée par un amendement passé la semaine dernière, elle doit faire un point aux députés de l’état d’avancement de son plan B. A-t-elle enfin réussi à trouver la formule magique ? Un accord qui puisse convaincre autant son parlement que les Européens ?
On peut sérieusement en douter. Ce discours sera surement court, indiquant que Theresa May continue de consulter les autres députés afin de trouver un terrain d’accord. Mais ces consultations ne vont pas bien loin – le parti travailliste, plus gros parti de l’opposition, refuse d’y participer tant que Theresa May refuse de garantir que le Royaume-Uni ne sortira pas sans accord.
Il y a trois façons dont Theresa May pourrait tenter d’obtenir une telle garantie : 1) trouver cet accord magique, ce plan B plaisant à tout le monde ; 2) demander aux Vingt-Sept une extension pour l’article 50 ; ou 3) profiter du jugement de la Cour Européenne de Justice en Décembre et annuler le Brexit en retirant la notification de l’article 50.
La première et la deuxième option sont très compliquées à mettre en œuvre techniquement – et l’option deux n’est pas sans coût politique. Mais c’est la troisième option qui aurait le coût politique le plus lourd pour May, faisant d’elle la femme qui aura stoppé le Brexit. En bref, il est très difficile pour May de garantir une sortie sans accord – ce dont profite en ce moment le Labour pour refuser de négocier avec May.
Mais le Labour joue ainsi un jeu bien dangereux. Ne pas négocier avec May, c’est rendre le « No Deal », cette sortie sans accord, toujours plus crédible. Mais les dirigeants travaillistes parient aujourd’hui sur leur capacité à faire voter par le Parlement, sans l’aval du gouvernement, leur propre plan. Ils espèrent réussir à sauver, d’une part le Brexit, d’autre part le pays, sans pour autant travailler avec May.
Dans un pays normal et des circonstances normales, ce pari serait tout bonnement ridicule. Mais aujourd’hui, au Royaume-Uni ? C’est peut-être possible. Le Parlement veut reprendre le pouvoir. Dominic Grieve, député conservateur opposé au Brexit, souhaite faire voter un amendement qui, s’il passe, bouleverserait les règles parlementaires britanniques. Au lieu que l’agenda parlementaire soit décidé par la majorité gouvernementale, un texte pourrait être mis à l’agenda par 300 députés, soit 46% de la Chambre. Ce qui permettrait de faire voter un plan alternatif à celui du gouvernement.
Un tel pari dépend de trois étapes. La première aura lieu le 29 janvier, date à laquelle l’amendement de Dominic Grieve doit être voté. La seconde verra le Parlement britannique établir une proposition d’accord. La troisième demandera aux 27 Etats-membres de l’Union Européenne de l’accepter.
Mais peut-être que, face à la proposition britannique, les Européens répondront à leur tour que « no deal is better than a bad deal. »