Par Viviane Gravey
Depuis mercredi soir, un tronçon d’autoroute anglaise, la M26, est fermé chaque nuit. Le but ? Mesurer et renforcer les bas-côtés, établir quelles parties de cette autoroute pourraient servir de parking géant. Pourquoi donc ? Ici, pas de simples travaux de routine – mais une préparation à un « Brexit dur », la sortie abrupte du Royaume-Uni de l’UE, sans aucun accord. La M26 est un des axes majeurs pour se rendre à Douvres, à son port de ferry, ainsi qu’à Folkestone d’où commence le tunnel sous la manche.
Dès qu’il y a, côté français, un ralentissement de la circulation – que ce soit une grève de dockers, des vérifications renforcées aux frontières etc. – le Kent, comté connu pour ses vertes collines, ses vieux châteaux et ses vergers, se transforme en vaste parking. Chaque été, cela se reproduit – l’opération « stack » est déclenchée, et une grande partie du réseau autoroutier local se retrouve bloquée par des milliers de camions attendant trains ou ferries.
Chaque délai supplémentaire causé par le Brexit – par exemple, devoir vérifier les produits alimentaires passant la Manche, ou les importations américaines ou chinoises arrivant en Europe via le Royaume-Uni – risque ainsi de créer un peu plus d’embouteillages. Douvres, coincé contre ses célèbres falaises blanches, n’a pas de place pour agrandir son port – ce qui repousse les embouteillages dans l’arrière-pays. Ces embouteillages se feront sentir aussi côté français – le port de Calais est d’ailleurs en train de s’y préparer.
Ainsi, tout le monde se met à préparer le Brexit, mais vraiment pas de la même manière, ni avec le même sérieux. Jusqu’à la semaine dernière, le ministre des transports britannique, Chris Grayling, défendait bec et ongles la version officielle : il n’y aurait pas de fermetures d’autoroutes dans le Kent, aucuns travaux à prévoir, aucun risque. Les préparations britanniques paraissent ainsi bien limitées et bien tardives.
Cette impression se renforce quand on compare ce qui se passe au Royaume-Uni et en Irlande. Le gouvernement britannique publie depuis cet été des dizaines de notices de préparations au « no deal ». Celles-ci couvrent des sujets aussi divers que le fait de voyager avec son cheval à l’étranger, l’accès à des fonds européens après le Brexit ou la sécurité aérienne.
Ces nombreuses notices sont pourtant bien courtes. Leurs conseils, souvent lapidaires. Dans celles publiées la semaine passée, on remarque cette mention que les entreprises exportant beaucoup vers l’UE devraient penser à y créer des succursales avant le Brexit. Et dans celle concernant les activités économiques des deux côtés de la frontière irlandaise, cette incroyable proposition : aller donc demander conseil au gouvernement irlandais.
Car côté irlandais, la préparation bat son plein. Les projections économiques des coûts d’un Brexit dur sont formelles : le Royaume-Uni et l’Irlande seront les deux pays les plus touchés, ce qui explique pourquoi des 27 Etats-membres restants, l’Irlande est celui qui se prépare le plus. Lancé le mois dernier, le programme « Getting Ireland Brexit Ready » accentue encore ces efforts. Des conseillers parcourent le pays pour aller à la rencontre des compagnies et les aider à se préparer à différentes formes de Brexit. Avec comme slogan « Echouer à se préparer, c’est se préparer à échouer », le programme ouvre aux entreprises des financements de 5 000 euros afin de payer des consultants pour créer un plan Brexit adapté à chaque entreprise ; ainsi que de larges prêts à taux aidés pour mettre en œuvre ces changements. Au menu de ces aides : aider les entreprises à trouver de nouveaux marchés, et de nouveaux fournisseurs, non britanniques, pour leurs produits. Ces adaptations sont parfois profondes : les producteurs de fromage irlandais, qui se sont jusqu’à présent concentré sur le cheddar pour le marché britannique, cherche désormais à se diversifier pour pénétrer le marché européen…
Ainsi, alors que ministres et députés britanniques répètent à envie ne pas avoir peur d’un ‘no deal’, ils ne s’y préparent pas, ou très peu. Et si les grandes multinationales installées au Royaume-Uni ont la trésorerie et les employés nécessaires pour se préparer elles-mêmes – les usines Jaguar-Land Rover ont déjà commencé à réduire leur production, se mettant à la semaine de 3 jours jusqu’à Noël –, ce n’est vraiment pas le cas des PME.
En comparant la préparation à ce Brexit dur on arrive à une conclusion troublante : entre Royaume-Uni et Irlande, un seul pays semble vraiment s’y préparer, et ce n’est pas celui qui est à l’origine du Brexit.