L’édito d’Yves Pascouau · Quand je me regarde je me console mais quand je me compare je me désole

Les chiffres de l’asile publiés par Eurostat peuvent être lus de deux manières différentes. On peut se contenter de regarder les chiffres bruts, c’est-à-dire le nombre de demande d’asiles déposées dans un Etat, ou alors chercher à relativiser ce chiffre en le confrontant à la population globale de l’Etat en question. En fonction du choix, les chiffres livrent une lecture différente du phénomène observé.

 

Aujourd’hui un édito… chiffré !

 

Comme je vous l’avais annoncé, nous allons parler des chiffres de l’asile puisqu’ils ont été publiés par Eurostat, l’office européen de statistiques, fin mars.

Selon les données collectées par Eurostat l’année 2017 est marquée par une diminution importante du nombre de demandes d’asile introduites dans l’UE.

Si environ 1,2 millions de demandes d’asile avaient été introduites en 2015 et en 2016, la tendance est à la baisse puisqu’en 2017, ce sont environ 650 000 demandes d’asile qui ont été déposées dans les Etats membres. C’est environ deux fois moins que les années précédentes.

 

Et comment se répartissent les demandes d’asile ?

 

La grande majorité des demandes d’asile, plus 80 % !, a été introduite dans… 6 Etats membres.

L’Allemagne caracole toujours en tête du classement avec 198 000 demandes ce qui correspondent à 31 % de la totalité des demandes introduites en Europe.

Viennent ensuite, l’Italie avec 126 000 demandes (soit 20%), la France occupe la 3ème place avec 91 000 demandes (et 14 % du total) en suivent après la Grèce, le Royaume-Uni et l’Espagne avec respectivement 57 000, 33 000 et 30 000 demandes d’asiles.

 

Si l’Allemagne demeure le 1er Etat à accueillir des demandeurs d’asile sa situation est différente de celle de ses voisins

 

En effet, alors que l’Allemagne a enregistré une baisse de l’ordre de 73 % des demandes d’asile, passant de 722 000 demandes en 2016 à 198 000 en 2017 – d’autres Etats ont eux enregistré une augmentation. C’est le cas de l’Espagne (+ 96%), de la France (+ 19 %) ou encore de la Grèce (+ 14%).

Pour autant, cette augmentation n’est qu’une indication brute qu’il faut nécessairement relativiser.

 

C’est-à-dire… ?

 

Et bien, je peux dire que je reçois un nombre important de candidats réfugiés mais ce nombre doit être mis en perspective. Un des éléments d’évaluation utilisé par Eurostat est celui du nombre de demandes d’asile déposées par millions d’habitants.

Si la France a accueilli 91 000 demandeurs d’asile, et occupe la 3ème place en chiffres brut, elle accueille 1359 demandes d’asile pour 1 millions d’habitants. Je vous vois perplexe Laurence…

 

Pour le moins oui en effet… qu’est-ce que cela signifie ?

 

Cela permet de comparer le « poids » de la demande d’asile au regard de la population d’un Etat et donc de ses capacités d’accueil. A titre de comparaison, la Grèce a accueilli 5 295 candidats réfugiés pour 1 million d’habitants. En proportion de sa population, la Grèce a enregistré environ 4 fois plus de demande que la France.

Sur cette base, on se rend alors compte que la France occupe la 9ème place des Etats européens derrière la Grèce, Chypre, le Luxembourg, Malte, l’Autriche, l’Allemagne, la Suède et l’Italie.

Contrairement à ce que dit Gérard Collomb, et conformément à ce que répète Pascal Brice le directeur général de l’OFPRA, si l’on regarde nos voisins, la France n’est pas submergée par les demandes d’asile.

 

Si je vous suis bien, on peut donc conclure qu’il y a plus de demandes d’asile en France mais que cette augmentation n’est pas plus importante qu’ailleurs

 

C’est bien cela Laurence. Et en pleine discussion sur le projet de loi asile-immigration, il est important de bien comprendre la réalité du phénomène que l’on entend « maîtriser » et le situer dans une perspective plus large. Si on regarde nos voisins, la situation de la France n’est pas catastrophique.

En matière d’asile, nous avons souvent tendance à nous regarder, à nous « auto-centrer ». Or en ce domaine, « quand je me regarde je me console mais quand je me compare je me désole »…

Yves Pascouau

Fondateur du site www.EuropeanMigrationLaw.eu - Chercheur associé à l'Université de Nantes. Docteur en droit public de l'Université de Pau et des Pays de l'Adour. Sa thèse porte sur "La politique migratoire de l’Union européenne". Titulaire de la Chaire « Genèse et développement de l’espace Schengen » de 2017 à 2019.

Ex-directeur au European Policy Centre (Bruxelles) –
Chercheur associé sénior à l’Institut Jacques Delors (Paris) –

Quelques liens :