L’édito d’Yves Pascouau · La solidarité en question

La solidarité entre les Etats membres de l’UE dans le domaine des politiques migratoires existe mais elle est insuffisante. Les oppositions manifestées par certains Etats, et en particulier la Hongrie, à l’établissement d’un mécanisme obligatoire de relocalisation risque de déporter le débat sur le terrain financier et de fragiliser un peu plus encore le principe de solidarité entre Etats membres de l’UE

Bonjour Yves Pascouau

Bonjour Simon Marty

Il est question de solidarité aujourd’hui dans votre édito

Oui Simon, la solidarité est un thème qui s’invite régulièrement dans les discussions sur la politique migratoire de l’UE et plus encore lorsqu’il est question de la résolution de la « crise migratoire ».

Solidarité qui est souvent critiquée

En effet, on entend souvent dire qu’il n’y a pas de solidarité entre les Etats membres. Or, c’est inexact. Depuis le début de la crise de nombreux dispositifs financiers et opérationnels ont été mis en œuvre pour renforcer la solidarité notamment vis-à-vis des Etats situés dits de 1ère ligne.

Ainsi, la relocalisation des demandeurs d’asile, avec toutes ses imperfections, a permis de relocaliser plus de 34 000 demandeurs d’asile depuis la Grèce et l’Italie. On peut le vanter ou le vouer aux gémonies mais le corps européen de garde-frontières a pour mission d’aider les Etats à mieux contrôler leurs frontières extérieures.

Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes…

Ce serait si simple, Simon, ce serait si simple… Le problème est double. D’une part, la solidarité existe mais elle est encore insuffisante. D’autre part, tous les Etats membres ne partagent pas la même conception de la solidarité lorsque l’on parle d’asile ou d’immigration. C’est le cas des Etats d’Europe centrale et orientale et surtout de la Hongrie.

Et la situation ne va pas s’arranger avec la réélection de Viktor Orban

Je le crains. Fort d’une réélection obtenue après une campagne clairement anti-immigration, rien n’indique que le dirigeant hongrois va changer de ligne, au contraire. Et la relocalisation obligatoire des demandeurs d’asile dont il est un farouche opposant va forcément être dans son viseur.

Or, cette relocalisation obligatoire est l’expression même de la solidarité entre Etats européens puisque les Etats du centre s’engagent à accueillir des demandeurs d’asile arrivée dans les Etats situés à la périphérie et en 1ère ligne. Le problème c’est que la relocalisation est un cœur des négociations du nouveau règlement Dublin.

Il y a donc du blocage en vue…

Du blocage et de la casse. Si Budapest continue de s’opposer à la relocalisation obligatoire, de nombreux Etats (à commencer par l’Italie, la Grèce, Malte mais aussi l’Allemagne et la Suède) vont voir rouge et aller rechercher la solidarité ailleurs.

Schématiquement, la majorité des Etats va accepter d’accroître le soutien financier aux Etats les plus exposés au phénomène migratoire et aller chercher ce financement dans les autres fonds européens dont le fonds de cohésion. Or, le fonds de cohésion est celui qui soutient les régions les plus pauvres de l’UE.

C’est donc un cercle vicieux qui se dessine où l’absence de solidarité d’un Etat risque de nuire à la solidarité à l’intérieur même de la Communauté. Et de faire émerger une Europe encore moins solidaire.

Yves Pascouau

Fondateur du site www.EuropeanMigrationLaw.eu - Chercheur associé à l'Université de Nantes. Docteur en droit public de l'Université de Pau et des Pays de l'Adour. Sa thèse porte sur "La politique migratoire de l’Union européenne". Titulaire de la Chaire « Genèse et développement de l’espace Schengen » de 2017 à 2019.

Ex-directeur au European Policy Centre (Bruxelles) –
Chercheur associé sénior à l’Institut Jacques Delors (Paris) –

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