Par Viviane Gravey
Après la débâcle de Theresa May à Salzburg il y a 10 jours, on aurait pu s’attendre à une remise en question britannique. Si les Européens répètent que la solution britannique, le plan de Chequers, ne peut pas marcher, ne faut-il pas revoir sa copie, changer de méthode ? Que nenni.
Dès le lendemain, Theresa May répétait une fois de plus que ce serait sa version d’un accord – Chequers – ou pas d’accord du tout. Toujours le même refrain : « No deal is better than a bad deal ».
Mais le problème, c’est que deux ans après le référendum du 23 juin 2016 et six mois avant le Brexit prévu pour le 29 Mars 2019, la classe politique britannique n’est toujours pas d’accord sur la définition d’un « good deal ». On sait juste qu’à leurs yeux, la proposition de Theresa May n’en est pas un.
Côté tories, la frange en faveur d’un Brexit dur – voulant une séparation nette entre Royaume-Uni et UE – a présenté son alternative la semaine dernière. Sous le doux nom de « plan A+ » le lundi, ou de « Super Canada » le jeudi, l’idée de Boris Johnson et ses collègues est de s’inspirer du CETA – cet accord commercial UE-Canada qui a fait tant couler d’encre. Le but ? Permettre au Royaume-Uni de casser son code du travail, sa protection sociale et environnementale. Et si pour ce faire, il faut ériger des barrières aux échanges de biens, services, capitaux et personnes avec l’UE, le jeu en vaut la chandelle. Quant à la frontière irlandaise ? Johnson considère qu’on en fait trop. Il suffit évidemment d’utiliser ‘la technologie’ et le besoin de contrôles systématiques aux frontières s’effacera.
Le coût économique et politique pour le Royaume-Uni dans le processus de paix en Irlande sur ce plan est énorme. Mais ce n’est pas bien grave. Il ne vise pas tant à convaincre l’UE qu’à convaincre suffisamment de conservateurs et de soutiens du Brexit que Boris Johnson, lui, est à leur écoute. Johnson continue ainsi à toujours faire campagne, à vendre du rêve et à être incapable de gouverner.
Côté travailliste, on cite Napoléon – ne jamais interrompre son ennemi quand il est en train de commettre une erreur. Les travaillistes veulent une nouvelle élection et comptent sur les divisions des tories pour la leur offrir. Une fois au pouvoir ils sont sûrs, eux, d’arriver à convaincre l’UE. Leur plan ? Continuer de participer à ‘un’ marché unique, et à ‘une’ union douanière – vous avez bien entendu : un, pas « le », une, pas « la ». Ainsi, le plan travailliste est de demander aux Européens de réviser les règles du marché unique et de l’union douanière, de leur permettre autant d’accès et de droits mais avec moins de liberté de circulation des personnes et moins de contrôle des aides d’Etat.
Ces deux plans ne sont ni nouveaux ni crédibles. Mais peu importe… La classe politique britannique reste persuadée que ce qu’il compte réellement c’est de mettre d’accord entre eux et que le reste – l’accord de sortie, l’accord commercial, en bref, l’Union Européenne des 27 – suivra.
C’est pourquoi, à six mois du Brexit, l’absence d’accord pourtant si dangereuse parait autant crédible. Pour le Royaume-Uni, lorsque l’UE dit non, comme à Salzburg – elle n’est pas dans son bon droit. Elle n’est pas en train de défendre légitimement ses intérêts. Selon un récent sondage YouGovour, un tel refus s’apparente à un manque de respect pour 59% des Britanniques. Par contre, quand le ministre des affaires étrangères britanniques compare l’UE à l’Union Soviétique, comme hier soir, il est applaudi…
L’arrogance d’un grand pays au sein de l’UE est quelque chose qui nous est bien familier en tant que Français. Il fut un temps où les Britanniques eux-mêmes se moquaient de leur propre morgue en citant un titre de presse apocryphe qui disait « brouillard sur la Manche, le continent est coupé du reste du monde ». Mais cette autodérision a laissé place à la conviction inébranlable que les Européens céderont à leurs demandes au dernier moment… et que si d’aventure, ce n’était pas le cas, ça ne serait pas bien grave. Depuis le référendum, ils répètent comme un mantra que les Européens ont plus besoin d’eux qu’eux des Européens. Aussi ne serait-il pas surprenant de voir en Une des tabloïds au matin du 30 Mars 2019 un très sérieux « Pas d’accord sur le Brexit, l’UE est coupée du reste du monde ».