La lettre de bienvenue du Commissaire aux Droits de l’Homme

Par Yves Pascouau

Le respect des droits humains est une obligation juridique qui s’impose aux Etats tout autant qu’aux institutions européennes dans leur action extérieure. C’est ce que rappelle le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe dans une lettre adressée aux autorités italiennes. Cette dernière est transmise au moment même où les Etats européens souhaitent renforcer leur coopération avec les pays tiers dans le domaine de la politique migratoire. Plus qu’une lettre, c’est un rappel nécessaire et bienvenu.

 

Retrouvez ce texte prononcé lors de l’édito d’Euradionantes en cliquant sur ce lien

 

Aujourd’hui c’est d’une lettre dont vous allez nous parler

Oui Laurence, et d’une lettre importante dans le contexte de la gestion des flux migratoires en Méditerranée. Elle est l’œuvre de Nils Muižnieks, le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, et a été adressée fin septembre au Ministre italien de l’Intérieur. Dans cette missive, le Commissaire aux droits de l’homme s’inquiète des opérations menées par les navires italiens dans les eaux territoriales libyennes pour freiner les flux migratoires.

Si Nils Muižnieks ne conteste pas la mise en œuvre de telles opérations, il rappelle néanmoins que l’Italie est tenue de les mener dans le plein respect de la CEDH.

Mais il n’y a rien de nouveau dans cela

Oui et non. Le Commissaire rappelle que la Cour européenne des droits de l’homme a déjà condamné l’Italie en 2012 justement parce qu’elle avait renvoyé vers la Lybie des migrants interceptés dans les eaux internationales. La Cour avait en effet jugé que de tels renvois avaient exposé les migrants a des traitement inhumains et dégradants contraires à l’article 3 de la convention.

Mais l’élément nouveau est que Nils Muižnieks étend le raisonnement tenu par la Cour en 2012 à la situation actuelle.

C’est-à-dire ?

Eh bien pour le Commissaire Muižnieks ce n’est pas parce que les navires italiens opèrent désormais dans les eaux territoriales libyennes à l’invitation du gouvernement de salut national que l’Italie est exonérée de ses obligations de respecter les droits de l’homme. Bien au contraire. Prenant appui sur de nombreux rapports, la Commissaire souligne que la situation des migrants en Libye ne s’est pas arrangée depuis 2012. Il estime ainsi que le fait pour les autorités italiennes de remettre des individus placés sous leur contrôle aux autorités libyennes ou d’autres groupes exposerait ces personnes à des traitements inhumains et dégradants. Cela constituerait une violation par l’Italie des droits fondamentaux garantis par la CEDH quand bien même ces actions seraient menées sur le territoire d’un pays tiers.

Mais cette lettre ne s’applique qu’à l’Italie ou peut-elle avoir une portée plus large

C’est bien là tout l’intérêt de cette missive. Si celle s’adresse en premier lieu aux autorités de Rome, l’obligation formulée par le Commissaire Muižnieks vaut pour tous les Etats membres du Conseil de l’Europe qui souhaitent développer des relations identiques avec la Libye ou d’autres pays tiers.

Par ailleurs cette obligation s’impose aussi au nouveau corps européen de garde-frontières crée par l’UE en septembre 2016. Ce corps européen doit en application de son acte constitutif respecter les droits fondamentaux et le principe de non-refoulement dans l’exercice de ces missions.

Le respect des droits humains est une obligation juridique qui s’impose aux Etats tout autant qu’aux institutions européennes dans leur action extérieure. C’est ce que dit le Commissaire aux droits de l’homme au moment justement où les Etats européens souhaitent renforcer leur coopération avec les pays tiers dans le domaine de la politique migratoire. Plus qu’une lettre, c’est un rappel nécessaire et bienvenu.

 

Téléchargez ci-dessous la lettre adressée au ministère de l’Intérieur italien :

Yves Pascouau

Fondateur du site www.EuropeanMigrationLaw.eu - Chercheur associé à l'Université de Nantes. Docteur en droit public de l'Université de Pau et des Pays de l'Adour. Sa thèse porte sur "La politique migratoire de l’Union européenne". Titulaire de la Chaire « Genèse et développement de l’espace Schengen » de 2017 à 2019.

Ex-directeur au European Policy Centre (Bruxelles) –
Chercheur associé sénior à l’Institut Jacques Delors (Paris) –

Quelques liens :