La dimension externe de l’immigration : le chant des sirènes Libyen?

Par Yves Pascouau et Franck Mc Namara

Les chefs d’Etat ou de gouvernement se réunissent le 3 février prochain à Malte pour discuter de la dimension externe des migrations. Les débats vont surtout porter sur la Libye puisque 90% des arrivées en Italie proviennent de ce pays. Avec le « succès » de la déclaration UE-Turquie à l’esprit, les dirigeants seront enclins à reproduire le même type d’approche avec la Libye. Cependant, toute tentative en ce sens soulève des difficultés.

Depuis septembre 2015, le principal objectif des dirigeants européens a été « d’endiguer » les flux migratoires vers l’Europe. A côté des actions mises en œuvre dans les Balkans, la déclaration UE-Turquie a permis d’abaisser de manière significative les flux sur la route des Balkans et dans la Méditerranée orientale. En conséquence, la Méditerranée centrale est devenue en 2016 la principale route migratoire vers l’Europe avec plus de 181 000 arrivées provenant majoritairement d’Afrique.

L’impossibilité de conclure une déclaration UE-Libye

Bien que cela n’ait pas été explicitement formulé, l’idée de reproduire le mécanisme turc en Méditerranée centrale est supportée par certaines délégations au sein du Conseil. Mais une telle approche n’est pas applicable à la Libye.

Tout d’abord, la Turquie a un pouvoir central fort, ce qui n’est pas le cas de la Libye. Comme l’indique la Commission, ce pays fait face à une situation politique instable et le pouvoir est fragmenté sur le territoire et aux frontières. En dépit de l’existence d’un gouvernement d’union nationale, l’instabilité politique prévaut.

Ensuite, plusieurs éléments figurant dans la déclaration UE-Turquie ne peuvent pas être négociés avec la Libye. Les discussions d’adhésion à l’UE sont exclues puisque ce pays n’est pas candidat. La libéralisation des visas est hors sujet. Enfin, la Libye ne peut être considérée comme un pays sûr car elle n’est pas liée par les instruments européens de protection des droits de l’homme et son bilan dans ce domaine est désastreux.

Dans ce contexte, le seul levier dont dispose l’UE repose sur le soutien financier. Mais là encore, la comparaison avec la Turquie est limitée étant donné que les objectifs poursuivis divergent.

Opération mains propres

Le soutien financier offert à la Turquie a pour but d’améliorer les conditions de vie et d’aider les populations réfugiées en Turquie. Dans le cas Libyen, l’objectif vise à prévenir les départs depuis les côtes libyennes et à s’assurer que les autorités libyennes sont en mesure de stopper les migrants avant qu’ils ne pénètrent dans les eaux internationales et qu’ils ne soient interceptés par les autorités européennes ou des Etats membres.

En effet, et en application des obligations internationales et des droits fondamentaux, les Etats membres de l’UE savent qu’à partir du moment où les autorités européennes ou nationales exercent le contrôle sur les migrants, ces derniers doivent être débarqués et leur situation examinée dans un lieu sûr. Or, la Libye ne remplit pas ce critère. En conséquence, les personnes doivent être débarquées et leur situation examinée en Europe.

Afin d’éviter cette situation, les dirigeants européens ont pour projet d’accorder un soutien financier et opérationnel substantiel à la formation et au renforcement de l’équipement et des capacités des garde-côtes libyens. Ainsi, les autorités libyennes seront mieux équipées et entraînées pour intercepter les migrants dans les eaux territoriales et en assumer la responsabilité juridique.

Cette stratégie doit être complétée, comme proposé par la Commission, par une aide visant à lutter contre les trafiquants et à renforcer les capacités de la Lybie en matière de gestion des migrations avec le concours du HCR (Haut-Commissariat aux Réfugiés) et l’OIM (Organisation Internationale des Migrations).

Inquiétudes supplémentaires

Comme cela a été le cas en mars 2016 avec la Turquie, il est probable que les chefs d’Etat et de gouvernement souhaitent conclure un engagement juridiquement non-contraignant avec la Libye et qu’ils optent pour la signature d’une « déclaration » commune. Les dirigeants européens devraient toutefois être prudents avec cette approche.

D’une part, et alors que des universitaires ont soutenu que la déclaration UE-Turquie devrait être considérée comme un accord juridiquement contraignant en droit international, le Tribunal de première instance de l’UE pourrait le confirmer puisqu’il a été saisi en ce sens dans la cadre d’une affaire (T-192/16) portant sur la déclaration UE-Turquie. Si la déclaration constitue un acte juridiquement contraignant, l’Article 21 du Traité UE rend impossible tout accord avec la Libye sur des questions ayant un lien avec les droits de l’homme, dont les politiques migratoires.

Par ailleurs, le Parlement européen a été mis de côté dans la négociation de la déclaration UE-Turquie. Il pourrait refuser de l’être de nouveau. Aussi, et si c’était le cas, il pourrait chercher à recouvrer ses pouvoirs par l’action contentieuse devant la Cour de justice.

Quelle voie suivre ?

L’approche sécuritaire des questions migratoires s’est renforcée depuis 2015. La focalisation grandissante sur les frontières, le retour et la réadmission a fait émerger une ligne politique articulée sur le binôme « laissez-les dehors » ou « mettez-les dehors ». Sans orientation nouvelle, il deviendra difficile aux Etats membres de critiquer la politique du Président Trump vis-à-vis du Mexique.

Il ne fait pas de doute que les questions sécuritaires vont occuper l’agenda international pour les années à venir et que les Etats comme les organisations vont devoir les prendre en considération. Cependant, l’approche sécuritaire ne peut et ne doit pas être la seule solution envisageable. Si les dirigeants souhaitent réellement gérer les migrations, ils doivent compléter cette approche avec une vision, des politiques et des outils nouveaux.

La vision impose de comprendre la manière dont les mobilités humaines vont évoluer dans le futur et de déterminer nos besoins ainsi que ceux de nos voisins, en particulier africains. Les Etats doivent ensuite adopter une ligne plus globale en tenant compte de l’incidence d’autres politiques sur la migration (développement, commerce, environnement, défense) mais en proposant aussi des voies nouvelles et innovantes d’immigration légale.

Les dirigeants de l’UE doivent établir des politiques migratoires justes et équilibrées avec nos voisins africains. Le partenariat et la confiance avec l’Afrique sont essentiels pour notre avenir et notre prospérité. S’ils y parviennent, la migration aura regagné en légitimité (make migration great again).

Les auteurs

Yves Pascouau

Fondateur du site www.EuropeanMigrationLaw.eu - Chercheur associé à l'Université de Nantes. Docteur en droit public de l'Université de Pau et des Pays de l'Adour. Sa thèse porte sur "La politique migratoire de l’Union européenne". Titulaire de la Chaire « Genèse et développement de l’espace Schengen » de 2017 à 2019.

Ex-directeur au European Policy Centre (Bruxelles) –
Chercheur associé sénior à l’Institut Jacques Delors (Paris) –

Quelques liens :

Frank Mc Namara

Policy analyst au European Policy Centre (Bruxelles)

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