Brexing news #40 : Comment le Brexit porte atteinte à l’enseignement supérieur britannique

Par Colin Talbot
« Le secteur universitaire britannique est l’un de nos plus grands atouts nationaux », me disait le professeur Brian Cox, à la fois universitaire et présentateur de télé reconnu. Selon lui, l’enseignement supérieur britannique « est effectivement une industrie mondiale qui génère des revenus d’exportations en milliards de livres ; c’est un fondement nécessaire de notre économie menée par l’innovation ; et c’est peut-être même notre plus fort vecteur de soft power : des leaders politiques et économiques du monde entier ont été formés ici au Royaume-Uni. »

S’il a raison, il est d’autant plus étonnant que le gouvernement soit en train de saboter ce secteur aussi précieux – que ce soit par inadvertance ou de manière intentionnelle. Depuis le référendum du Brexit, on a beaucoup parlé de financements de la recherche et d’étudiants étrangers. Beaucoup moins de ce qui fait fonctionner nos universités : les enseignants-chercheurs. Actuellement, il y en a plus de 30,000 issus des 27 autres États-membres. On devrait s’intéresser à ce que le Brexit représente pour eux.

J’ai fait ma petite enquête. Dans mon environnement immédiat, mais aussi dans les médias sociaux fréquentés par les universitaires comme Twitter. J’ai eu plus de 1000 re-tweets, et j’ai été frappé par le degré de peur, de colère et de dégoût, parfois de résignation que j’ai trouvé dans les réponses.

Voici un résumé de ce que j’ai recueilli.

 

L’impact sur les individus.

Certains collègues qui vivaient et travaillaient légalement dans le Royaume-Uni depuis des années ont décidé, après le référendum, qu’il valait mieux assurer leurs arrières et engager la démarche pour l’obtention de la nationalité britannique. Il faut être courageux, car les dossiers sont d’une complexité kafkaïenne : un formulaire de 85 pages, et des exigences de justificatifs contre lesquelles la procédure de sanctification de l’Église catholique paraît d’une grande simplicité.

Par conséquent, beaucoup de ces demandes échouent. Mais c’est surtout la forme du refus qui met les gens en émoi. La lettre standard qu’ils reçoivent du Ministère de l’intérieur dit en gros :

« Puisque vous ne semblez pas avoir d’autres raisons valables de séjourner au Royaume-Uni, vous devriez désormais vous apprêter à partir. Dans le cas où vous n’arrangeriez pas de départ volontaire, une décision ultérieure pourrait être prise à votre égard afin d’imposer votre éloignement par la force. »

Ces « préparez-vous à partir » existent en plusieurs variations et sont devenus monnaie courante. Ils sont adressés à des gens qui habitent et travaillent ici en toute légalité !

Brian Cox résume bien la situation :

« Nous avons investi des décennies – en fait : des siècles ! – à créer une atmosphère d’ouverture dans nos universités et à offrir cette image à un monde toujours plus compétitif. Nous y avons réussi de manière spectaculaire : beaucoup des meilleurs chercheurs et professeurs du monde ont fait du Royaume-Uni leur patrie, en toute bonne foi. Aujourd’hui, je connais peu, ou pas, d’universitaire international, européen ou non-européen, qui se sent plus à l’aise dans notre pays qu’avant le référendum. Cela nous conduit droit au désastre. »

Certains pensent qu’ils sont pris « en otage » par le ministère, un objet de négociation. D’autres indiquent, passablement indignés, où exactement le ministère peut se mettre ses formulaires… Mais le niveau d’angoisse est évident : « J’ai préparé ma demande – mais dois-je la soumettre, après ce que j’ai vu chez d’autres ? » Ou encore : « Je suis Irlandais, c’est plus facile, mais est-ce que la législation nous concernant sera encore en vigueur après le Brexit » ? D’autres encore renvoient simplement au caractère « inhumain de la bureaucratie ».

Est-ce que c’est représentatif ? Un sondage YouGov pour l’Union des Universités montre qu’une majorité écrasante des enseignants-chercheurs (90%) disent que le Brexit aura un impact négatif sur l’enseignement supérieur. Les trois quarts des non-Britanniques issus de l’Union européenne (76%) annoncent qu’il est désormais plus probable qu’ils songent à quitter le pays. Près d’un tiers (29%) dit connaître des collègues qui partent, et plus de deux sur cinq connaissent des collègues qui ont déjà perdu des financements de leurs travaux en conséquence du Brexit.

 

L’impact sur les universités

Les universités britanniques dépendent fortement de leurs enseignants-chercheurs européens. Elles ont besoin, afin de satisfaire leurs parties prenantes véritablement mondiales, d’attirer les meilleurs, et l’Europe est forcément un bon vivier. Sur l’ensemble, 16% (selon les données 2014/15 des Higher Education Statistics Agency) viennent des États-membres de l’UE. Mais dans nos universités les plus prestigieuses, de niveau mondial, le pourcentage monte vite. Il est de 24% à Oxford, 22% à Cambridge. Et de 38% à la London School of Economics (LSE). Ce sont les disciplines de la physique (26%), chimie (21%), bio-sciences (22%), et Informatique (20%) qui sont les plus concernées.

 

Et alors ?

Bien sûr, le prestige de notre nation ne dépend pas entièrement de la présence de ces universitaires européens. Après tout, il y a un gros pilier d’expertise formé par 70% de Britanniques. Mais ces 30% qui viennent d’Europe et d’ailleurs contribue une part importante à notre rang dans le monde.

Perdre ces talents – que ce soir par simple démoralisation ou par dessein – aurait un effet catastrophique. Pour citer encore une fois Brian Cox :

« Les ministres feraient mieux de prendre en considération notre réputation mondiale avant de sortir des platitudes prémâchées sur le besoin de consommer britannique. Ils devraient davantage réfléchir sur la meilleure manière de faire en sorte que le Royaume-Uni reste le meilleur endroit du monde pour enseigner et pour être enseigné. (…) La rhétorique actuelle est le contraire de qu’il faudrait. De l’extérieur, le Royaume-Uni apparaît de plus en plus comme peu accueillant et tourné vers le passé. »

La manière dont le Ministère de l’intérieur traite les demandes de titre de séjour est au mieux « maladroite », et au pire « malveillante ». Combien seront-ils à faire leurs valises en réponse à ce sentiment de ne plus être les bienvenus ? Quel sera le dommage causé à notre réputation ?

 

L'auteur

Colin Talbot

Colin Talbot a été professeur en sciences politiques à l'Université de Manchester jusqu'en 2016, et est désormais chercheur associé à l'Université de Cambridge.

En dehors de son travail purement académique, il est, avec son blog « Public Investigations », l’un des blogueurs politiques le plus connus du Royaume-Uni.

Vous pouvez le suivre sur Twitter sous @colinrtalbot.