BORGEN : le poids des apparences en politique

Par Mathilde Rousselet
Ce 2e article porte sur la série Borgen en traitant cette fois-ci de l’enjeu de l’apparence en politique.

Dans la série danoise Borgen, le pouvoir politique est intimement lié au pouvoir de l’image. Les médias y jouent d’ailleurs un rôle important puisqu’ils agissent comme un révélateur des vicissitudes du monde politique, par la mise en lumière du double visage des dirigeants, selon qu’ils s’expriment face aux caméras ou en comité restreint. La communication politique pratiquée par Birgitte Nyborg est un art de l’illusion destiné à influencer l’opinion publique.

Selon les Pensées de Blaise Pascal, les signes extérieurs de pouvoir permettent aux dirigeants politiques d’asseoir leur légitimité et leur autorité sur le peuple :

« La coutume de voir les rois accompagnés de gardes, de tambours, d’officiers et de toutes les choses qui ploient la machine vers le respect et la terreur font que leur visage, quand il est quelquefois seul et sans ses accompagnements, imprime dans leurs sujets le respect et la terreur parce qu’on ne sépare point dans la pensée leurs personnes d’avec leurs suites qu’on y voit d’ordinaire jointes ».

Ce pouvoir de la représentation, largement utilisé par les rois, est encore visible de nos jours dans le contexte d’un gouvernement démocratique. C’est justement ce que cherche à mettre en scène la série Borgen dans sa représentation de la Première ministre danoise, souvent accompagnée de sa garde rapprochée dans les couloirs du « Château », le palais de Christiansborg qui a donné son nom à la série. Cette image a pour effet de créer un halo de puissance symbolique autour de Birgitte Nyborg. Un plan est révélateur de cette dimension du pouvoir : alors que la Première ministre marche dans les couloirs du Château entourée de ses quatre associés, elle y croise son ancienne amie Anne Sophie Lindenkrone du Parti Rassemblement solidaire, qui marche seule en « rasant les murs ». Cette scène met en évidence le rapport de force qui se joue entre les deux femmes : le pouvoir les a éloignées et désormais, Birgitte Nyborg a l’ascendant sur la dirigeante du parti d’extrême-gauche.

 

Birgitte Nyborg croise Anne Sophie Lindenkrone dans les couloirs du Château, épisode 7 saison 1 (source : captures d’écran DVD Borgen)

Outre l’influence des signes extérieurs de pouvoir, la dialectique de l’être et du paraître pose également la question de la sincérité des gouvernants, dont la maîtrise de l’image semble primordiale. Jean-Jacques Rousseau est l’un des principaux pourfendeurs du pouvoir de l’apparence. Par la mise en lumière de la dialectique de l’être et du paraître, il déplore une société où les individus se prêtent constamment à un jeu de masques. Cette critique de « l’image » est très ancrée dans la série, comme le montre la présence récurrente de la thématique du miroir. Dans Borgen, le miroir semble refléter la dualité du personnage de Birgitte Nyborg : d’un côté, la femme intime synonyme de vérité et d’authenticité et de l’autre, la femme publique en quête d’apparence et de légitimité[1]. Au début de la série, le premier plan qui met en scène l’héroïne principale est révélateur : son visage est présenté au travers de son reflet dans le miroir, lors d’une séance maquillage avant une interview télévisée. La symbolique est forte puisque le premier contact visuel du spectateur avec Birgitte Nyborg repose d’emblée sur la thématique de l’image et son importance dans le jeu politique.

 

Première apparition de Birgitte Nyborg dans la série, épisode 1 saison 1 (source : captures d’écran DVD Borgen)

Par la mise en scène fréquente du pouvoir de l’image, la série Borgen confirme une nouvelle fois son adhésion aux théories de Machiavel, pour qui l’essence du politique s’inscrit sans conteste dans l’ordre de l’apparence : « Il n’est donc pas nécessaire à un prince d’avoir en fait toutes les qualités susdites, mais il est bien nécessaire de sembler les avoir. (…) Les hommes, de façon générale, jugent plus avec les yeux qu’avec les mains ; parce que chacun peut voir, et peu de gens sentir, ce que tu es ».

Cette représentation du pouvoir renforce l’idée selon laquelle le monde politique se conçoit de plus en plus comme un spectacle. Dans son ouvrage L’empire de la mélancolie. L’univers des séries scandinaves, Pierre Sérisier affirme que « Borgen n’est pas une fiction sur la « politique-spectacle » mais bien sur le spectacle de la politique ». Cette mise en scène médiatique du monde politique a pour conséquence une certaine désacralisation du pouvoir, comme le font remarquer les auteurs de  : « La télévision a désacralisé l’image du pouvoir car on ne cherche plus la distance avec celui-ci, on veut fasciner par le rapprochement, la banalisation et non plus par l’héroïsation du chef d’État. L’image démystifie le mystère comme l’émotif évince le cérémonieux ».

Dans Borgen, cette dimension du pouvoir désacralisé s’exprime notamment lorsque Birgitte Nyborg est interviewée chez elle aux côtés de son mari Phillip. Afin de faire taire les rumeurs sur la séparation de son couple, la Première ministre décide de se mettre en scène avec son époux à des fins politiques. Malgré les nombreux conflits avec son mari dans la sphère intime, Birgitte Nyborg se prête au jeu des apparences devant les caméras : « Être Premier ministre exige énormément de sa famille. (…) Je crois que le plus important, c’est d’avoir le bon mari. Et je l’ai. Sinon, cela ne peut pas tenir ». L’exposition de la sphère privée dans les médias, en vue d’instaurer une proximité avec le public, illustre ainsi une certaine « peopolisation » du monde politique.

 

Birgitte Nyborg et Phillip Christensen sont interviewés chez eux au sujet de leur vie de couple, épisode 10 saison 1 (source : captures d’écran DVD Borgen)

La pression médiatique qui pousse Birgitte Nyborg à s’exprimer sur son rôle d’épouse et de mère de famille est-elle plus forte que pour ses rivaux masculins ? En vérité, sa condition féminine va avoir de nombreuses répercussions sur le traitement journalistique de sa politique. Ce qui renvoie à l’importance de la thématique du genre dans la représentation du pouvoir dans Borgen, à laquelle le troisième post de la série sera consacré demain.

[1] Pour plus d’informations sur le rôle du miroir au cinéma, voir l’émission Blow up intitulée « Le miroir au cinéma » et diffusée sur Arte : https://www.youtube.com/watch?v=EjgLMvKnPPY

Mathilde Rousselet

Diplômée d’un Master en Études européennes et internationales à l’Université de Nantes, son mémoire de recherche porte sur la représentation du pouvoir politique dans la série télévisée danoise Borgen : « Borgen : la morale à l’épreuve du pouvoir »

Contact : mathilde.rousselet@hotmail.fr