Par Viviane Gravey
Ce samedi, c’était manif au Royaume-Uni. Près de 700 000 manifestants se sont rassemblés à Londres afin de participer à la marche pour un « vote populaire, avec l’option de rester dans l’UE ». De tous âges et toutes origines, on a pu voir marcher côte à côte des conservateurs opposés au Brexit, de l’autre des jeunes se plaignant de l’impact d’une décision prise par leurs aînés, ou même un groupe de Verts européens faisant preuve de solidarité avec leurs collègues britanniques.
Comme dans toutes manifestations, la créativité des participants était en évidence : bérets bleus aux douze étoiles jaunes, pancartes se moquant de politiques pro-Brexit, comme Boris Johnson ou Jacob Rees Mogg, et de très nombreuses paroles de chansons ou le pronom « you » est remplacé par le « E.U » comme dans « Nothing Compares to EU », « EU are the One for Me », ou encore « Only EU ».
Cependant, malgré le succès de la manifestation de samedi (les organisateurs attendaient autour de 100 000 participants, ils en ont eu 6 à 7 fois plus selon la police), l’hypothèse d’un nouveau référendum reste peu crédible. Deux sortes d’obstacles, politiques et pratiques, se dressent contre ce nouveau vote.
La manifestation de samedi était la deuxième plus grande du XXIème siècle de ce côté de la Manche. La première reste la marche contre la guerre en Irak, en février 2003, qui avait réuni un million de personnes. Et dans les deux cas, ni les membres du gouvernement, ni les membres hauts placés de l’opposition n’en ont fait partie. Ainsi, si le maire travailliste de Londres, Sadiq Khan, s’est effectivement adressé à la foule, les dirigeants du parti travailliste étaient aux abonnés absents. Samedi, le leader du Labour, Jeremy Corbyn, était à Genève pour parler droits de l’Homme et acquis sociaux avec Michelle Bachelet, ancienne présidente chilienne, travaillant désormais à l’ONU. Ses proches alliés, John McDonnell et Diane Abbott étaient tous les deux à Londres, mais parlaient à une conférence contre la montée du racisme et du fascisme. Côté majorité, on ne comptait seulement quelques « backbenchers », ces députés qui ne suivent pas tout le temps la ligne du parti, comme Anna Soubry ou Philip Lee. C’est bien un fait : les deux grands partis restent pour l’instant déterminés à faire du Brexit une réalité. S’ils ne sont pas d’accord sur quelle forme devrait prendre le Brexit, ils ne le remettent pas en cause pour autant.
Or, sans majorité au parlement, un référendum ne peut être lancé. Ainsi, pour qu’un nouveau vote ait lieu, il faudrait changer soit l’opinion de la majorité des députés britanniques, soit tout simplement la majorité des députés via une nouvelle élection. Pas de deuxième vote sans nouvelle majorité, pas de nouvelle majorité sans de nouvelles élections…
Et le temps passe… Le 29 mars 2019 approche à grand pas – et pour avoir un nouveau référendum, il faudrait donc avant cette date :
- Qu’un accord entre l’Union européenne et le Royaume-Uni soit conclu ;
- Que cet accord soit présenté au Parlement britannique ;
- Que le gouvernement perde ce vote au Parlement ;
- Que Theresa May décide soit de dissoudre la chambre des Communes, soit de proposer un deuxième référendum ;
- Qu’en cas de dissolution et de nouvelles élections, que celles-ci soient gagnées par un parti clairement pro-deuxième référendum ;
- Que les députés britanniques se mettent d’accord sur la franchise électorale, la ou les questions, le mode de scrutin ;
- Que le deuxième référendum soit organisé, suite à une période de campagne.
Or, ne serait-ce que sur le premier point de cette liste – obtenir un accord UE-Royaume-Uni – l’incertitude demeure. En l’état actuel, les partisans d’un deuxième référendum n’ont tous simplement pas le temps de convaincre, organiser et gagner un nouveau vote avant la date annoncée pour le Brexit.
Est-ce pour autant une cause perdue ? On pourrait aussi dire que les deux années qui se sont écoulées depuis le référendum ont été pleines de surprises – en politique britannique, il ne faut jamais dire jamais… En organisant une manifestation monstre de soutien à l’Union Européenne, les citoyens britanniques parlent directement aux dirigeants européens. Notre gouvernement ne nous représente pas, son Brexit n’est pas le nôtre. Si les négociations échouent, les 27 Etats-Membres ont un choix à faire : soit laisser le Royaume-Uni sortir sans accord, soit proposer, de manière unanime, une extension de négociations. Même s’ils n’arrivent pas à obtenir leur vote populaire, les manifestants de samedi ont rendu tout refus d’extension européen plus compliqué.