Hors contrôle

Par Viviane Gravey

Qui reprend le contrôle ? Le contrôle de quoi au juste ? Le prend de qui ? Pour en faire quoi ? Comment ? Pour combien de temps ?

Au pays du Brexit, la notion de « contrôle » a été au cœur des débats depuis trois ans. « Take back control ! » – avec le Brexit, les Britanniques devaient reprendre le contrôle ; mais derrière ce slogan simple et limpide se cache une forêt d’interprétations.

Qui reprend le contrôle ? Le contrôle de quoi au juste ? Le prend de qui ? Pour en faire quoi ? Comment ? Pour combien de temps ?

Au fil du processus du Brexit différentes réponses ont émergé. Mais le contrôle est élusif – qui croit l’avoir repris le perd aussitôt. En cette dernière semaine de mars 2019, on peut distinguer quatre groupes en perte de contrôle – sans vraiment personne au gouvernail du vaisseau britannique.

Notre premier groupe, c’est bien évidemment le gouvernement. Et un, et deux, et trois zéro : Theresa May a perdu par trois fois ; trois fois que le parlement dit non à son plan. Des défaites spectaculaires, comme on n’en a pas vu depuis des décennies. Si je me répète dans mes chroniques du Brexit, c’est que l’histoire bégaie : Theresa May continue de perdre … et de rester en place. De rester au pouvoir tout en ayant perdu tout contrôle.

Notre deuxième groupe, c’est le parlement. La semaine dernière, un séisme a secoué les institutions britanniques. Le Parlement a repris le contrôle. Le rôle de la Chambre des Communes dans le Brexit est contesté depuis le début – rappelons qu’il a fallu que la Cour Suprême s’en mêle pour qu’en Janvier 2017 le gouvernement accepte enfin qu’il ne pouvait commencer les négociations sans l’aval parlementaire. La semaine dernière, les parlementaires ont décidé de reprendre les choses en main – histoire de s’occuper un peu entre deux tentatives de Theresa May de faire passer son accord en force. Le contrôle qu’ils ont repris est celui du temps parlementaire et du choix des options du Brexit qu’ils allaient mettre au vote.

Dans un univers parallèle, cette révolte parlementaire aurait sûrement tout résolu. Pas chez nous, et ce pour deux raisons. D’une part, les options ont été décidées en fonction du vase clos britannique – aucune réflexion sur ce qu’en penserait l’autre côté (européen) de ces positions. D’autre part, aucune des options n’a su gagner une majorité. Non, non, non, non, non, non, non, non – huit fois non. Sacrée prise de contrôle. Le contrôle, pour en faire quoi, exactement ? Nul ne le sait, mais les parlementaires vont retenter de se mettre d’accord aujourd’hui.

Notre troisième groupe, ce sont les citoyens britanniques. Plus de six millions de citoyens (et/ou résidents) britanniques ont signé une pétition demandant la révocation du Brexit purement et simplement. Plus d’un million ont manifesté pour un nouveau référendum. Enfin, les sondages bougent, montrant qu’après près de deux ans de May au pouvoir, les Britanniques veulent quelqu’un d’autre – le travailliste Jeremy Corbyn a désormais un peu d’avance en vue d’élections anticipées. Mais pour l’instant, ni le parlement ni le gouvernement ne sont prêts à s’en remettre au peuple.

Et notre quatrième groupe, ce sont bien sûr les citoyens européens résidant au Royaume-Uni (ainsi que les Britanniques résidant dans le reste de l’Union Européenne). En tout, cela fait 5 millions – près de 4 millions d’Européens vivent au Royaume-Uni et un peu plus d’un million de Britanniques vivent dans les autres pays de l’UE. Pour les Britanniques ayant migré dans l’UE, chaque pays met en place des règles différentes – certains ne savent pas encore à quelles sauces ils seront mangés, et quels papiers ils vont pouvoir obtenir. Côté britannique, on sait à peu près à quoi s’en tenir. Sans que cela ne soit réjouissant pour autant. Pour l’avoir essayé hier, le charmant système britannique – permettant aux Européens de faire une demande de permis pour pouvoir continuer à résider en Grande-Bretagne – devient très vite une chasse aux vieux papiers, en espérant que les fonctionnaires britanniques apprécient nos vieilles factures d’eau.

Dans toute cette histoire, y a-t-il encore quelqu’un qui n’a pas perdu le contrôle ?

Trois jours après la date initiale du Brexit, moins de deux semaines avant la prochaine date clef du 12 avril, il est bien difficile d’identifier qui que ce soit de capable de contrôler quoi que ce soit au Royaume-Uni. Ce qui fait que le Brexit, parfois comique, se pare d’allures tragiques. Les Britanniques ayant voté pour reprendre le contrôle de leur pays se trouvent désormais face à une situation de complète perte de contrôle. Et quant aux problèmes qui les ont fait voter pour sortir de l’UE – ils attendent toujours d’être résolus.

 

Viviane Gravey

Enseignante/chercheure en politiques européennes à la Queen’s University Belfast et éditorialiste à EURADIO