Par Viviane Gravey
La semaine dernière, le Parlement britannique s’est enfin réveillé. Après avoir accepté qu’un référendum ait lieu dans une démocratie parlementaire et que ce référendum théoriquement de nature consultative finisse par dicter l’action parlementaire depuis plus de deux ans – voilà que la Chambre des Communes se rebiffe !
Pour la première fois de sa très longue histoire, elle a voté que le Gouvernement britannique était coupable d’outrage au Parlement. Tout ça pourquoi ? Vous l’avez deviné, il s’agit, bien sûr, encore et toujours d’une histoire de Brexit. Car si le Brexit met sens dessus-dessous les relations UE-Royaume Uni, c’est aussi la cause d’une profonde crise constitutionnelle.
Il y a quelques semaines, l’opposition a réussi à faire voter une humble adresse au monarque – de fait, au gouvernement de sa Majesté – lui enjoignant de rendre publiques les opinions juridiques commandées par Theresa May et ses collègues afin d’évaluer le pour et le contre de l’accord de sortie de l’Union européenne. Lundi dernier, l’avocat général Geoffrey Cox n’a pas réussi à convaincre les députés qu’il était dans l’intérêt général de ne pas publier ce document. Mardi, l’outrage a été voté. Mercredi, le document publié.
Ceci dit, cette publication n’a eu aucun impact ou presque. Car le document publié ne contient finalement rien de bien nouveau, rien qui serait susceptible de changer la donne. Le parlement a ainsi utilisé l’une des armes les plus puissantes dans son arsenal, pour, au final, une question de principe ne changeant rien en pratique. La montagne parlementaire semble avoir accouché d’une souris – mais cette histoire d’outrage, au-delà de nous donner l’occasion de sourire des termes désuets courants dans les affaires britanniques, est un signe de plus que le gouvernement est entrain de perdre le contrôle du Brexit (un comble, quand on pense au slogan « Take back control ! » qui a marqué la campagne référendaire de 2016).
Demain, la Chambre des Communes aura son « vote signifiant » ou « meaningful vote » sur l’accord de sortie. Theresa May semble être assurée de perdre ce vote. Ce que cela signifie pour son gouvernement, et pour le Brexit plus fondamentalement – personne ne le sait. Le vote de la Chambre des Communes sera aussi influencé par un tout autre acteur – la Cour de Justice de l’Union européenne. Habituée à prendre des années à rendre un verdict, la Cour de Justice, saisit par une cour écossaise, a accepté de statuer au plus vite. Le cas en question ? Est-ce que le Royaume Uni peut unilatéralement annuler son activation de l’article 50 du Traité de l’Union Européenne ? C’est le fameux article permettant à un État-membre de quitter l’Union.
La Cour est censée rendre son jugement à 9h, aujourd’hui, heure de Paris. Si la Cour suit l’avis de l’Avocat Général publié il y a deux semaines, les parlementaires britanniques sauront qu’annuler le Brexit est possible : voter non à l’accord n’est pas nécessairement synonyme de sortir de l’UE sans accord.
Si ce qui se passe ces jours-ci au Royaume Uni reste un cas unique. Partout en Europe, on observe une faiblesse relative du parlement face au gouvernement – en France en premier. Mais cette semaine, les députés britanniques se sont invités dans la cour des grands. Ils vont sûrement voter contre un traité négocié par leur gouvernement pendant deux longues années. Ils vont peut-être faire tomber ce gouvernement. Si Theresa May a en théorie une très faible majorité au Parlement grâce aux 10 votes des unionistes nord-irlandais du DUP, il est bon de noter que de nombreux députés conservateurs, de son propre parti donc, ont d’ores et déjà annoncé vouloir voter contre son accord, voire contre son gouvernement.
Cette indépendance d’esprit des députés de la majorité britannique n’a pas que du bon : elle peut par exemple prendre la forme de rejeter toute expertise, de n’écouter que son camp, de chercher à remplacer la Première Ministre plutôt que de négocier le Brexit etc. Mais elle parait à des lieues de l’apathie de nos parlementaires français, a des lieues d’une majorité suivant le gouvernement et le président au doigt et à l’œil. Le Royaume-Uni est en proie a une profonde crise constitutionnelle – son Parlement se réveille. A quand le nôtre ?