Claire Coutelle analyse la construction sociale, historique et politique du leadership allemand en matière d’énergies renouvelables.
« Vorreiter », « Leader », « Modell », « Beispiel »… Les mots n’ont pas manqué ces dernières années pour qualifier la transition énergétique allemande, l’Energiewende, qui a longtemps fait figure de modèle pour l’Europe et le monde. Il y a deux ans encore, avant que l’afflux massif de réfugiés en Allemagne ne vienne occuper les unes médiatiques et le débat politique, la chancelière allemande Angela Merkel était encore connue sous le nom de Klimakanzlerin, la « chancelière du climat » à la tête d’une Allemagne motrice dans les négociations de la COP21 (le concept phare de la décarbonisation, ou « Dekarbonisierung » est né au sein du ministère de l’Environnement, le « Bundesministerium für Umwelt »).
L’Allemagne a très tôt construit son leadership sur une politique énergétique favorable au développement des énergies renouvelables. Mais ce leadership tant salué ne va pas de soi et relève d’une construction sociale, historique et politique. Dans mon mémoire de master 1 intitulé « Le leadership allemand autour des énergies renouvelables » , j’ai pris l’actualité à rebours en m’intéressant à ce leadership qui semble aujourd’hui s’essouffler. Afin de comprendre son émergence, sa nature et ses formes, je me suis appuyée sur une littérature scientifique à la croisée de l’histoire et de la science politique, complétée par des sources médiatiques et officielles. L’excellent ouvrage de James M. Burns, Leadership (New York, Harper and Row, 1978), a été la référence majeure de mes recherches.
La réalité de ce « leadership » présumé réside plus sûrement dans le pluriel : en passant par des phases de doutes, d’hésitations, d’assurance et d’affirmation, les acteurs politiques et économiques allemands ont construit des formes diverses de leadership, plus ou moins abouties, autour de l’Energiewende.
Faisons honneur à M. Burns en soulignant la complexité et la diversité de ce concept. Comme le pouvoir, le leadership est fondamentalement une relation entre des « leaders » et des « followers ». Il renvoie à une situation dans laquelle certains individus essaient d’en influencer d’autres au moyen de leurs propres ressources, valeurs et motivations, en vue d’un but poursuivi à la fois par les leaders et les followers. Les ressources que les premiers peuvent mobiliser sont de natures extrêmement diverses. La configuration de la relation et le but poursuivi déterminent la « qualité » du leadership, purement « transactionnel » s’il ne correspond qu’à un échange d’intérêts ou de ressources entre deux entités, ou « transformationnel » s’il parvient à hisser les parties à un niveau supérieur d’action et de moralité. A partir de là peuvent se décliner maintes formes de leadership.
Image de communication politique étroitement associée au titre de « Klimakanzlerin » de la chancelière.
Le leadership allemand autour des énergies renouvelables prend sa source dans un contexte domestique et international très hostile à ces nouvelles formes d’énergie. Malgré les oppositions des Chrétiens-démocrates, des Libéraux et des lobbys industriels et pétroliers, certains « entrepreneurs de politique » allemands ont réussi à gagner la « bataille pour les institutions » grâce à des fenêtres d’opportunité économiques et politiques qui se sont ouvertes dans les années 1980 et 1990. Ces acteurs politiques, souvent de fibre écologiste, ont obtenu gain de cause. D’abord en 1990 avec la Stromeinspeisungsgesetz du gouvernement Kohl – une loi qui obligeait les fournisseurs d’électricité à acheter l’énergie produite à partir de sources renouvelables à des prix supérieurs à ceux du marché – mais surtout en 2000 avec la version fondatrice de l’Erneuerbare-Energien-Gesetz (EEG), un mécanisme de subventions provisoires et ajustables aux renouvelables qui a très vite constitué la base de la diffusion d’un « modèle allemand » à travers le monde.
Exposition itinérante sur l’Energiewende proposée par le ministère allemand de l’Environnement
Il aura néanmoins fallu attendre la fin des années 2000 pour que le gouvernement se départisse de ses hésitations et assume pleinement son leadership en la matière, tout en faisant figure de modèle de par les ambitions et la réussite économique de l’Energiewende. Sous l’égide d’Angela Merkel et de son ministre social-démocrate des Affaires étrangères Frank-Walter Steinmeier , l’Allemagne a porté la voix des renouvelables à la tribune climatique internationale, tout en développant des stratégies multilatérales et bilatérales d’aide au développement avec des partenaires choisis. Dans la même veine de contournement du consensus onusien, l’Allemagne est aussi à l’initiative de l’Agence internationale des énergies renouvelables , créée en 2010.
Part des énergies renouvelables dans la production d’énergie primaire de l’Allemagne en 2017
Le leadership de l’Allemagne autour des énergies renouvelables a très probablement atteint le stade ultime du leadership, puisqu’elle a réussi à diffuser son modèle – tel quel ou dérivé – à l’échelle européenne et internationale. Mais à tout apogée succède le déclin : au sortir de la signature de l’Accord de Paris, les critiques internes voyaient déjà le jour et continuent à monter au fur et à mesure que le gouvernement semble baisser ses ambitions climatiques et énergétiques . D’aucuns ne manquent pas de souligner la contradiction avec l’image internationale que l’Allemagne continue par ailleurs à cultiver. Comme ce mémoire, le leadership allemand fait peut-être désormais partie de ces choses dont il faut parler au passé : dans un paysage institutionnel global de plus en plus fragmenté, la Chine est en passe de supplanter l’Allemagne dans son rôle moteur, quand la France se fait le chantre mondial du climat. C’est là toute la nature versatile du leadership : inévitablement, tout leader finit tôt ou tard par devoir laisser la place à ses propres followers.
Part des énergies renouvelables dans la consommation primaire d’énergie en Allemagne en 2017