Article de Justine Lacroix et de Paul Magnette dans Le Soir, au sujet de la politique belge des migrations. Mis en ligne le 25/01/2018
Justine Lacroix, professeur de théorie politique à l’ULB, et Paul Magnette, bourgmestre de Charleroi répondent à la carte blanche du président de la N-VA qui écrivait, ce mercredi matin, qu’ouvrir les frontières aux migrants revient à mettre la Sécurité sociale en danger.
« La meilleure des défenses c’est l’attaque. Votre gouvernement est dans l’impasse, il suscite des critiques de toutes parts, que faire ? Détourner l’attention, créer des écrans de fumée, lancer de vaines polémiques. Pas de meilleur sujet pour cela que la question sensible des migrations.
Car oui, le gouvernement MR/N-VA est dans la tourmente. La réforme des pensions, la précarisation de l’emploi, les coupes claires dans les budgets de la Santé, les économies drastiques dans les services publics, de la mobilité à la justice, font enfler les mécontentements. Les résistances ne viennent plus seulement des syndicats, mutuelles et ONG, cibles classiques de la droite, mais aussi de travailleurs sociaux, enseignants, médecins, magistrats et avocats, indépendants et représentants des classes moyennes… Dans un tel contexte, rien de tel que d’instrumentaliser le drame migratoire qui est le nôtre aujourd’hui. En recourant à toutes les caricatures et à tous les simplismes, célébrant l’ère de la post-vérité.
Une gauche naïve, laxiste ou « cosmopolite »
Non, Monsieur De Wever, il n’y a pas d’un côté une droite attachée à l’Etat-nation et à la citoyenneté, et de l’autre une gauche naïve, laxiste ou « cosmopolite », plaidant pour l’ouverture de toutes les frontières, sans souci de préservation de la protection sociale. L’idée même de « nation civique », de Sieyès à Clémenceau, en passant par Mazzini, vient de la gauche.
Quant à nos lois en matière d’asile et de migrations, elles sont le fruit d’une longue histoire. Au lendemain de la seconde guerre mondiale, les patrons furent les premiers à demander « l’ouverture des frontières » pour obtenir une main-d’œuvre abondante et peu organisée, et c’est du côté des syndicats, craignant que l’on dresse les travailleurs les uns contre les autres, que venaient les résistances. Puis un triple consensus s’est lentement formé. Consensus international, d’abord, sur la reconnaissance d’un droit d’asile à toute personne victime de persécutions.
Consensus européen, ensuite, sur la reconnaissance d’un certain nombre de droits fondamentaux à toute personne, quelle que soit sa nationalité, en vertu de la Convention européenne des droits de l’homme. Consensus belge, enfin, sur la nécessité d’organiser les migrations économiques et de mener des politiques volontaristes pour permettre aux nouveaux arrivants de s’intégrer à la société, en entrant dans le monde du travail, en payant des impôts, en scolarisant leurs enfants… Oui, la gauche, syndicale et politique, a joué un rôle central dans la formation de ce triple consensus, tout comme l’ont fait de nombreux démocrates-chrétiens et libéraux, qui eurent le courage, dans les années 2000, de défendre l’accueil des réfugiés et le droit de vote aux élections locales pour les ressortissants étrangers. »
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