L’édito d’Yves Pascouau – Schengen et Dublin destins liés – 8 février 2018

On entend souvent, et on peut même lire, que le système Dublin est une pièce maîtresse du régime d’asile européen commun. C’est vrai, mais en réalité Dublin c’est bien plus que ça.

Le système Dublin, qui a pour objectif de déterminer l’Etat responsable de l’examen d’une demande d’asile est avant tout et surtout un rouage essentiel de l’espace Schengen. Et ce dès les origines.

Que l’on en juge par les dates tout d’abord. La convention de Dublin  a été adoptée le 15 juin 1990,  soit 4 jours seulement avant l’adoption de la convention d’application des accords de Schengen.

Que l’on en juge par le contenu, ensuite, puisque la convention de Dublin a pour objectif de corriger certains effets de l’espace Schengen.

Comme vous l’avez déjà expliqué, un demandeur d’asile qui est entré dans Schengen peut déposer des demandes d’asile dans plusieurs Etats. Pour empêcher ces demandes multiples et éviter que les Etats se rejettent la responsabilité de l’examen de la demande, Dublin fixe les règles qui vont permettre de désigner un seul Etat responsable…

Bravo Laurence !

Le dernier élément qui illustre la relation intime entre Schengen et Dublin est celui de la substitution des règles. Il était prévu que les règles de Dublin, plus précises, se substituent aux règles Schengen.

Mais pourquoi ce lien entre Schengen et Dublin a disparu  

Il n’a pas disparu, c’est une nouvelle perception qui a émergé à partir de 1999 et l’entrée en vigueur du traité d’Amsterdam. A cette époque le traité a établi une distinction entre les règles qui relèvent de l’asile et celles qui relèvent de l’immigration. Mécaniquement, Dublin est devenu un élément du régime d’asile européen commun et s’est détaché – dans les esprits – de Schengen.

Mais le phénomène migratoire qui a secoué l’UE à partir de 2015 va raviver leur destinée commune.

Comment ça ?

Et bien au moment où des centaines de milliers de demandeurs d’asile sont entrés en Europe c’est Schengen et Dublin ensemble qui ont « dérouillé ».

Si la pression sur l’espace Schengen s’est accentuée au cours de l’été 2015, elle s’est considérablement renforcée lorsque les autorités allemandes ont décidé de ne pas appliquer Dublin aux demandeurs d’asile syriens, c’est à dire de ne pas les renvoyer par là où ils sont rentrés, en Grèce et en Italie.

Au même moment, ces deux Etats ont été confrontés à une pression très forte et pour les aider, on a adopté un mécanisme de relocation, qui est dérogation à Dublin.

Enfin, pour limiter les mouvements des demandeurs d’asile dans l’espace Schengen, plusieurs Etats ont rétablis les contrôles aux frontières intérieures de l’espace Schengen.

La « crise » a remis en avant le couple Schengen/Dublin.

Et ce n’est pas fini…

Non, car la survie de Schengen dépend désormais de la modification de… Dublin. Mais pas n’importe quelle modification. Il faut impérativement en finir avec la règle qui fait peser la responsabilité sur les Etats de première entrée. A défaut de quoi, ces Etats de première entrée, lassés par l’absence de solidarité, pourraient ne plus appliquer les règles à l’entrée sur l’espace Schengen. Par réaction, les Etats du centre se protégeraient derrière leurs frontières nationales. Cela en serait donc fini de Schengen et de Dublin.

Yves Pascouau

Fondateur du site www.EuropeanMigrationLaw.eu - Chercheur associé à l'Université de Nantes. Docteur en droit public de l'Université de Pau et des Pays de l'Adour. Sa thèse porte sur "La politique migratoire de l’Union européenne". Titulaire de la Chaire « Genèse et développement de l’espace Schengen » de 2017 à 2019.

Ex-directeur au European Policy Centre (Bruxelles) –
Chercheur associé sénior à l’Institut Jacques Delors (Paris) –

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