La Croix est partenaire du festival Philosophia de Saint-Émilion, qui consacre sa 12e édition à « La vérité ». Samedi 26 mai 2018, le philosophe Jean-Marc Ferry a donné une conférence sur le thème « Confronter nos convictions à l’horizon de la vérité ».
Entretien paru dans La Croix, en liaison avec l’intervention de Jean-Marc Ferry au festival Philosophia.
La Croix, 25 mai 2018, « La vérité est polyphonique », entretien avec Elodie Maurot
Le festival Philosophia, qui se veut ouvert au plus grand nombre, a choisi le thème de la vérité pour sa 12e édition, est-ce pour vous significatif ?
Jean-Marc Ferry : Bien sûr, la vérité c’est la question philosophique. Il y en a d’autres, comme la liberté, mais la vérité est, à mon avis, au-dessus de toutes. Pourquoi ? Parce que la référence à la vérité est présupposée à toute affirmation, à toute expression même. Sans l’idée de vérité, les paroles que nous prononçons lorsque nous discutons ne nous engageraient absolument pas. Si on y réfléchit, sans l’idée de vérité, ces paroles ne seraient plus que du bruit.
Quelles difficultés particulières pose aujourd’hui le débat sur la vérité ?
Jean-Marc Ferry : Nous sommes en difficulté avec la question de la vérité. Aujourd’hui, quand on est ouvert, non autoritaire, si l’on fait attention aux autres, etc., on admet une conception pluraliste de la vérité.
On dit volontiers : « À chacun sa vérité », en impliquant qu’il y aurait autant de vérités que de croyances. Or je pense que la vérité n’est pas plurielle. Elle est une. Rien que dire « ma vérité », « ta vérité », c’est, du point de vue philosophique, ne pas faire honneur à la vérité.
Je conçois qu’une idée soit plus ou moins bonne, mais elle ne saurait être plus ou moins vraie : elle est vraie ou fausse, de même qu’une affirmation en général. Ainsi, selon son concept, la vérité est absolue, c’est-à-dire non relative. On n’est pas dans le « plus ou moins ».
À vos yeux, la vérité une est l’horizon de nos discussions ?
Jean-Marc Ferry : La vérité n’est pas plurielle, ce sont nos croyances et nos convictions qui le sont. En revanche, chacun, s’il est authentique, prétend à la vérité. Mais on voit bien que dire « je prétends à ma vérité », cela n’a guère de sens… ni de force. On « exprime » sa conviction, mais on « prétend » à la vérité.
La vérité n’est pas plurielle mais elle est polyphonique : on la vise de différentes façons et sous plusieurs points de vue. Dans la discussion, ce qui se confronte, ce ne sont pas les vérités de chacun, mais les convictions de chacun, avec un enjeu de vérité. Cela fait signe vers une éthique de la discussion, où chacun s’écoute, argumente, s’ouvre aux raisons des autres, ainsi que l’entend le philosophe Jürgen Habermas.
Cela permet de laisser de côté une esthétique des postures, et de dépasser même une éthique de la convivialité où, certes, on ne se tape pas dessus, mais où chacun reste avec ses croyances et se garde bien d’interférer dans les convictions d’autrui. Cependant, si nous voulons constituer une vraie communauté de communication, au sens où l’indiquait le regretté philosophe Karl-Otto Apel, cela ne peut être que sous l’idée d’une vérité une.