Brexing news #40 : Comment le Brexit porte atteinte à l’enseignement supérieur britannique

Par Colin Talbot
« Le secteur universitaire britannique est l’un de nos plus grands atouts nationaux », me disait le professeur Brian Cox, à la fois universitaire et présentateur de télé reconnu. Selon lui, l’enseignement supérieur britannique « est effectivement une industrie mondiale qui génère des revenus d’exportations en milliards de livres ; c’est un fondement nécessaire de notre économie menée par l’innovation ; et c’est peut-être même notre plus fort vecteur de soft power : des leaders politiques et économiques du monde entier ont été formés ici au Royaume-Uni. »

S’il a raison, il est d’autant plus étonnant que le gouvernement soit en train de saboter ce secteur aussi précieux – que ce soit par inadvertance ou de manière intentionnelle. Depuis le référendum du Brexit, on a beaucoup parlé de financements de la recherche et d’étudiants étrangers. Beaucoup moins de ce qui fait fonctionner nos universités : les enseignants-chercheurs. Actuellement, il y en a plus de 30,000 issus des 27 autres États-membres. On devrait s’intéresser à ce que le Brexit représente pour eux.

J’ai fait ma petite enquête. Dans mon environnement immédiat, mais aussi dans les médias sociaux fréquentés par les universitaires comme Twitter. J’ai eu plus de 1000 re-tweets, et j’ai été frappé par le degré de peur, de colère et de dégoût, parfois de résignation que j’ai trouvé dans les réponses.

Voici un résumé de ce que j’ai recueilli.

 

L’impact sur les individus.

Certains collègues qui vivaient et travaillaient légalement dans le Royaume-Uni depuis des années ont décidé, après le référendum, qu’il valait mieux assurer leurs arrières et engager la démarche pour l’obtention de la nationalité britannique. Il faut être courageux, car les dossiers sont d’une complexité kafkaïenne : un formulaire de 85 pages, et des exigences de justificatifs contre lesquelles la procédure de sanctification de l’Église catholique paraît d’une grande simplicité.

Par conséquent, beaucoup de ces demandes échouent. Mais c’est surtout la forme du refus qui met les gens en émoi. La lettre standard qu’ils reçoivent du Ministère de l’intérieur dit en gros :

« Puisque vous ne semblez pas avoir d’autres raisons valables de séjourner au Royaume-Uni, vous devriez désormais vous apprêter à partir. Dans le cas où vous n’arrangeriez pas de départ volontaire, une décision ultérieure pourrait être prise à votre égard afin d’imposer votre éloignement par la force. »

Ces « préparez-vous à partir » existent en plusieurs variations et sont devenus monnaie courante. Ils sont adressés à des gens qui habitent et travaillent ici en toute légalité !

Brian Cox résume bien la situation :

« Nous avons investi des décennies – en fait : des siècles ! – à créer une atmosphère d’ouverture dans nos universités et à offrir cette image à un monde toujours plus compétitif. Nous y avons réussi de manière spectaculaire : beaucoup des meilleurs chercheurs et professeurs du monde ont fait du Royaume-Uni leur patrie, en toute bonne foi. Aujourd’hui, je connais peu, ou pas, d’universitaire international, européen ou non-européen, qui se sent plus à l’aise dans notre pays qu’avant le référendum. Cela nous conduit droit au désastre. »

Certains pensent qu’ils sont pris « en otage » par le ministère, un objet de négociation. D’autres indiquent, passablement indignés, où exactement le ministère peut se mettre ses formulaires… Mais le niveau d’angoisse est évident : « J’ai préparé ma demande – mais dois-je la soumettre, après ce que j’ai vu chez d’autres ? » Ou encore : « Je suis Irlandais, c’est plus facile, mais est-ce que la législation nous concernant sera encore en vigueur après le Brexit » ? D’autres encore renvoient simplement au caractère « inhumain de la bureaucratie ».

Est-ce que c’est représentatif ? Un sondage YouGov pour l’Union des Universités montre qu’une majorité écrasante des enseignants-chercheurs (90%) disent que le Brexit aura un impact négatif sur l’enseignement supérieur. Les trois quarts des non-Britanniques issus de l’Union européenne (76%) annoncent qu’il est désormais plus probable qu’ils songent à quitter le pays. Près d’un tiers (29%) dit connaître des collègues qui partent, et plus de deux sur cinq connaissent des collègues qui ont déjà perdu des financements de leurs travaux en conséquence du Brexit.

 

L’impact sur les universités

Les universités britanniques dépendent fortement de leurs enseignants-chercheurs européens. Elles ont besoin, afin de satisfaire leurs parties prenantes véritablement mondiales, d’attirer les meilleurs, et l’Europe est forcément un bon vivier. Sur l’ensemble, 16% (selon les données 2014/15 des Higher Education Statistics Agency) viennent des États-membres de l’UE. Mais dans nos universités les plus prestigieuses, de niveau mondial, le pourcentage monte vite. Il est de 24% à Oxford, 22% à Cambridge. Et de 38% à la London School of Economics (LSE). Ce sont les disciplines de la physique (26%), chimie (21%), bio-sciences (22%), et Informatique (20%) qui sont les plus concernées.

 

Et alors ?

Bien sûr, le prestige de notre nation ne dépend pas entièrement de la présence de ces universitaires européens. Après tout, il y a un gros pilier d’expertise formé par 70% de Britanniques. Mais ces 30% qui viennent d’Europe et d’ailleurs contribue une part importante à notre rang dans le monde.

Perdre ces talents – que ce soir par simple démoralisation ou par dessein – aurait un effet catastrophique. Pour citer encore une fois Brian Cox :

« Les ministres feraient mieux de prendre en considération notre réputation mondiale avant de sortir des platitudes prémâchées sur le besoin de consommer britannique. Ils devraient davantage réfléchir sur la meilleure manière de faire en sorte que le Royaume-Uni reste le meilleur endroit du monde pour enseigner et pour être enseigné. (…) La rhétorique actuelle est le contraire de qu’il faudrait. De l’extérieur, le Royaume-Uni apparaît de plus en plus comme peu accueillant et tourné vers le passé. »

La manière dont le Ministère de l’intérieur traite les demandes de titre de séjour est au mieux « maladroite », et au pire « malveillante ». Combien seront-ils à faire leurs valises en réponse à ce sentiment de ne plus être les bienvenus ? Quel sera le dommage causé à notre réputation ?

 

L'auteur

Colin Talbot

Colin Talbot a été professeur en sciences politiques à l'Université de Manchester jusqu'en 2016, et est désormais chercheur associé à l'Université de Cambridge.

En dehors de son travail purement académique, il est, avec son blog « Public Investigations », l’un des blogueurs politiques le plus connus du Royaume-Uni.

Vous pouvez le suivre sur Twitter sous @colinrtalbot.

International Week 2017 – Faculté de droit, économie et gestion à l’Université d’Angers

Du 9 au 13 octobre 2017 aura lieu à la Faculté de droit, d’économie et de gestion de l’Université d’Angers, le semaine internationale.

Afin de mieux faire connaître les actions de développement des relations internationales menées par la Faculté de droit, économie et gestion de l’Université d’Angers, différentes manifestations sont organisées dans les locaux de la Faculté depuis plusieurs années. C’est le cas de la semaine internationale qui se déroulera cette année du 9 au 13 octobre 2017, avec au programme la semaine de la Mention du Master « Management et Commerce International » en présence d’universités partenaires américaines, italiennes et polonaise et d’autre part, des ateliers et des conférences d’information à destination des étudiants afin de leur permettre d’identifier les différents dispositifs.

Pour plus d’informations: http://www.univ-angers.fr/fr/acces-directs/facultes-et-instituts/faculte-droit-economie-gestion/actualites/actu-2017/international-week-2017.html

 

 

Faculté de droit, économie et gestion - Université d'Angers

Faculté de droit, économie et gestion – Université d’Angers

La Faculté de droit, d’économie et de gestion de l’Université d’Angers est une unité d’enseignement et de recherche de près de 3000 étudiants qui embrasse l’ensemble des formations classiques dans ces disciplines.

Au surplus elle a développé en matière de formation des spécificités dans les contenus des enseignements dispensés et dans les méthodes utilisées.

Les licences générales font une place importante à l’enseignement des langues étrangères afin, en particulier, de préparer les étudiants aux formations dispensées en anglais en Master. Un accompagnement individualisé des étudiants (tuteur, grand-frère, enseignant correspondant, etc.) leur permet d’obtenir des appuis pour le développement de leurs projets. Des licences professionnelles ont été créées en correspondance avec le tissu économique local (administration publique territoriale, habillement, PME-PMI, notariat, etc…).

Les Masters se sont, pour la grande majorité d’entre eux, spécialisés dans des secteurs professionnels porteurs : banque et finances, ressources humaines à l’international, management à l’international, intelligence économique, droit des entreprises, etc. Ces formations sont adossées à deux laboratoires de recherche juridique, économique et de gestion composés de 88 enseignants-chercheurs et de 90 doctorants dont les travaux de recherche fondamentale et appliquée sont l’objet de contrats.

http://www.univ-angers.fr/fr/acces-directs/facultes-et-instituts/faculte-droit-economie-gestion.html

Brexing News # 39 : Royaume-Uni – une décentralisation mise à mal par le Brexit

Par Antonella Forganni

Le débat vif déclenché par le Brexit rappelle aussi que le Royaume-Uni ne consiste pas seulement en quatre «home nations » – l’Angleterre, l’Écosse, le Pays-de-Galles et l’Irlande-du-Nord, chacun avec son équipe nationale de football propre – mais aussi d’une variété de régions administratives. En d’autres termes : le Brexit possède des aspects interconnectés qui, sans être conflictuels en apparence, ont un impact significatif sur la vie quotidienne des gens.

J’ai eu l’occasion, cet été, de m’en faire une idée lors d’un excellent séminaire organisé par le Professeur Ignazio Cabras à l’Université du Northumbria, située à Newcastle. Cette manifestation, justement axée sur la perspective régionale a réuni des universitaires, mais aussi des représentants du monde de l’entreprise, des syndicats et des collectivités régionales, créant ainsi un forum vivant pour échanger des idées sur « Les implications du Brexit pour l’avenir de la décentralisation dans le Nord-Est de l’Angleterre », comme l’annonçait le titre.

Le séminaire fut lancé par le Professeur Keith Shaw avec la question principale qui allait dominer la discussion tout au long de la journée : où iront, exactement, les compétences rapatriées par le Brexit ?

 

Il faut comprendre qu’au Royaume-Uni, le processus relativement jeune de décentralisation (ou « devolution » en V.O), a toujours été, pour des raisons historiques, « asymétrique ». Aujourd’hui, on observe une sorte de course parmi les régions avec l’objectif d’obtenir du pouvoir central londonien plus de compétences et de contrôle sur leurs affaires. Tout un « millefeuille » d’entités locales et régionales – municipalités, régions, et collectivités intermédiaires – négocient des accords de dévolution avec le gouvernement central, non seulement pour obtenir des financements, mais aussi les pouvoirs nécessaires pour les utiliser dans la mise en œuvre de leurs politiques locales. Leur réussite dans ces négociations dépend de plusieurs facteurs très variables. Les collectivités qui peuvent compter sur des négociateurs plus aguerris, par exemple, ont plus de chances d’obtenir des concessions significatives. C’est l’une des raisons pour laquelle le développement d’un tel savoir-faire sur le plan local est une priorité pour les administrateurs impliqués dans ces négociations et pour ceux qui sont amenés à exercer de nouvelles compétences.

En tant qu’État-membre, le Royaume-Uni est un contributeur net au budget européen. Cependant, il y a des régions, comme le Nord-Est de l’Angleterre, qui sont des bénéficiaires nets. D’où une certaine inquiétude, vu que la disparition des ressources financières redistribuées par l’Union européenne suite au Brexit risque de créer des problèmes budgétaires pour une telle région. Qui plus est, le Nord-Est est une région qui « exporte » beaucoup au reste du marché unique et dont le secteur industriel, étant donné les limites démographiques de la région, a besoin d’attirer de la main d’œuvre. Il n’est guère surprenant que tant les représentants de l’entreprise et les élus locaux anticipent déjà un ralentissement économique sérieux.

 

Toute cette constellation suscite une compétition à outrance entre les collectivités locales pour obtenir le meilleur « deal » possible avec le gouvernement central. Comme dans toutes les compétitions, il y a des gagnants et des perdants. Le Brexit révèle une société hautement fragmentée, et la pression qu’il exerce sur le processus de décentralisation risque de constituer un facteur supplémentaire de division, car le transfert de ressources financières et de compétences du centre vers la périphérie n’est pas homogène. Tout dépend de comment sont jugés les besoins locaux, ce qui produit quasi-inévitablement une perception d’injustice.

Le séminaire aborda d’autres inquiétudes. D’un côté, les entreprises sont préoccupées par l’impact économique négatif d’une exclusion du marché unique. De l’autre côté, les syndicats craignent qu’à la fin, ce seront encore les classes sociales les moins favorisées qui finiront par payer l’addition du Brexit. Ils ont de bonnes raisons d’être inquiets : par le biais de la grande loi du retrait de l’Union (‘Great Repeal Bill), actuellement débattue au Parlement, le gouvernement prévoit d’abord de transposer le droit européen directement applicable en droit national, puis de modifier les règles au cas-par-cas, parfois par voie parlementaire normale, mais parfois aussi par simple décret gouvernemental grâce à la délégation du pouvoir comprise dans cette loi. Il n’y a du coup aucune garantie que les standards de l’Union européenne, par exemple en matière de protection du consommateurs ou des droit des travailleurs – qui sont plus élevés qu’ailleurs dans le monde et fortement protégés par la Cour de Justice de l’UE – resteront intouchés.

Le processus de décentralisation est considéré comme nécessaire au Royaume-Uni, justement parce que la croissance économique et la productivité sont inégalement réparties. Cependant, si la manière dont il se déroule reste aussi mal équilibrée qu’elle apparaît aujourd’hui, il y a un grand risque que, plutôt que de mitiger la fragmentation de la société britannique, il aggravera encore les clivages entre les territoires urbains et ruraux, et la disparité des richesses entre les catégories sociales.

L'auteur

Antonella Forganni

Antonella Forganni

Professeure associée et chercheuse en Droit de l’Union Européenne à l'ESSCA, EU-Asia Institute

Thématiques de recherche :
Relations extérieures de l’UE avec un accent particulier sur la Chine
Le processus d’intégration européenne : Droits de l’Homme / Politique commerciale / Politique aérienne et spatiale

Responsabilités :

  • Responsable du département Management et Environnement de l’Entreprise

Antonella Forganni développe le projet de recherche « Etude des relations internes et externes de l’Union Européenne et des processus d’intégration » avec le soutien d’Alliance Europa.

Brexing News # 38 : que peuvent savoir de l’Angleterre ceux qui ne connaissent que l’Angleterre?

Par Helen Drake

En tant qu’universitaire basée au Royaume-Uni et présidente de l’UACES, l’association académique internationale en études européennes, j’ai un bon aperçu de l’état de l’enseignement supérieur sur l’Europe contemporaine en général et sur l’Union européenne en particulier. Permettez-moi de l’illustrer avec l’exemple d’une institution située dans les Midlands, en plein cœur de l’Angleterre, l’Université de Loughborough.

Les « Études européennes » y ont fait leur apparition en tant que nouvelle discipline durant l’année 1968/69, lorsque la Faculté des Études Humaines et Environnementales se mit à proposer une nouvelle licence (« Bachelor of Science ») en « Institutions et langues de l’Europe moderne ». Ce nouveau diplôme était censé répondre à un nouveau besoin, celui d’un programme « qui combine les langues avec des connaissances en sciences sociales, notamment en économie et politique. (…) Le programme est professionnalisant, mais pas exclusivement, dans la mesure où il vise à former des diplômés qui possèdent des compétences en deux langues européennes, doublées d’une bonne connaissance de l’économie et des institutions économiques et politiques des pays majeurs du Marché Commun » (page 75 du catalogue de cours 1968/69).

On voyait donc un intérêt à proposer des études d’une communauté européenne dont le Royaume-Uni n’était même pas encore un membre, avant de la rejoindre cinq ans plus tard, en 1973.

Ce nouveau programme s’est vite développé pour devenir un diplôme « LPEME » (« Languages, Politics and Economics of Modern Europe »), et en 1972/73, un Département d’Études Européennes fut créé, en tant que département « multi-disciplinaire ». En 1975/76, le sigle « LPEME » fut remplacé par « MES » (« Modern European Studies »), diplôme pour lequel les étudiants n’avaient plus à étudier deux langues étrangères plus la politique plus l’économique, mais pouvaient faire un choix (même si une langue étrangère restait obligatoire). Les étudiants choisissant l’option politique avaient un cours obligatoire en « Politique de l’intégration européenne » dans leur dernière année, et ils pouvaient y ajouter un cours en « Droit public et institutions de la Communauté économique européenne ».

Durant les décennies suivantes, ces cours disparaissaient. Puis, en 2010, le programme en « Modern European Studies » lui-même fut rayé de la liste des diplômes, tandis que l’expression « études européennes » fut supprimé du nom du département. Les étudiants n’avaient plus accès à un programme diplômant combinant les langues étrangères et les sciences sociales aussi rigoureusement que cela avait été le cas en 1968. Certes, le département préserva son expertise académique en études européennes jusque dans les années 2000, obtenant même des financements Jean Monnet de la part de la Commission européenne censés soutenir l’enseignement et la recherche sur l’intégration européenne, alors que les « études européennes » ne représentaient plus qu’une poignée de cours dont aucun n’était obligatoire pour aucun étudiant. En 2015, enfin, la Bibliothèque Universitaire finit par emballer son Centre de Documentation Européenne qui avait servi de dépôt de documentation officielle de l’Union européenne pour toute la région.

Cette histoire de la naissance et du déclin des études européennes à Loughborough est parfaitement représentative de la situation en 2016/17 : les études européennes, à quelques exceptions près, ont disparu des curricula des universités britanniques, les départements ont été fermés, et la discipline ne méritait même plus sa propre « sous-commission » dans la dernière grande évaluation nationale de la recherche en 2014, le « Research Excellence Framework » (REF) qui dresse le classement (en vue de leur financement futur) de la recherche dans les universités du Royaume. Ce fut une rupture avec les évaluations précédentes (en 2008, 2001, 1996 et 1992 respectivement), lors desquelles les études européennes avaient encore été considérées comme une discipline à part entière.

C’est là une rupture significative, qui en cache une autre. Comme l’a fait remarquer mon collègue Michael Smith en 2008 déjà, il y avait eu « un glissement des études axées sur les langues vers des études concentrées sur les sciences humaines et sociales dans lesquelles la langue de recherche et de publication est très majoritairement l’anglais ». Il a ainsi rejoint Kenneth Dyson, le président de la commission d’évaluation des Etudes Européennes en 2001, qui, dans son rapport, avait alerté de façon prémonitoire que « dans l’absence d’un plan d’action urgent et large en soutien de la discipline, les fondations de la recherche en Études Européennes s’effriteront rapidement, et la Grande-Bretagne perdra les ressources de connaissances en langue étrangères et de compétences culturelles nécessaires pour jouer avec succès son rôle en Europe ».

En fait, dès 1975, le grand historien Alan Milward, avait anticipé dans un article du Journal of Common Market Studies, que « la justification ultime des Études Européennes » devait être « d’ordre intellectuel » : « en fin de compte, le développement futur des Études Européennes dépend du lien qu’elles établissent entre le mouvement d’une association plus étroite des nations européennes avec les aspects plus larges de la civilisation européenne, non pas sous forme de platitudes, mais dans une approche académique critique. La seule étude de l’évolution de la Communauté ne saurait suffire pour ce faire, même si sans elle, il n’y a pas de fondement sur lequel construire. » (voir ‘The European Studies Movement: What’s in a Name?’, JCMS, Vol. XIV, No. 1, page 80.)

Il suffit de scruter le programme des dernières grandes conférences annuelles de l’UACES, à Londres en 2016 ou à Cracovie en 2017, pour constater un rétrécissement de l’étude de « l’Europe » dans l’enseignement supérieur vers l’étude presque exclusive de « l’Union Européenne » (ce qui est, bien entendu, en lui-même, un champ vaste et varié). Il en est de même quand on regarde les thématiques de thèse de doctorat qu’explorent les boursiers actuels de l’UACES.

Tous ces chercheurs ne sont pas basés au Royaume-Uni – loin s’en faut ! – mais beaucoup d’entre eux le sont, et leurs observations se recoupent : leurs étudiants qui sont passés par l’enseignement britannique arrivent à l’université avec un véritable déficit de connaissance sur l’Union Européenne et ses États-membres, surtout en comparaison avec leurs camarades ERASMUS venus d’autres pays européens. Ce n’est guère une surprise : non seulement l’enseignement sur l’Europe ou l’UE est quasi-inexistant dans les programmes scolaires, mais l’apprentissage des langues étrangères est fortement en déclin dans l’enseignement public depuis plus d’une décennie.

Faut-il alors s’étonner que lors du référendum de juin 2016, le vote pour ou contre le Brexit ait été fortement corrélé au niveau d’éducation ? En effet, les catégories d’un niveau plus élevé étaient plus susceptibles de voter en faveur du maintien. Bien entendu, mon argument n’est pas que les jeunes Britanniques devraient être mieux éduqués sur l’Europe afin de soutenir l’Union européenne. Mais ils méritent certainement une meilleure éducation sur la citoyenneté dans toutes ses dimensions.

L’une des citations les plus connues de l’écrivain Rudyard Kipling (1865-1936) est la phrase « Que peuvent savoir de l’Angleterre ceux qui ne connaissant que l’Angleterre ? » Elle n’a jamais été autant d’actualité. Que peut-on savoir de son propre pays et de sa place dans le monde, si on n’apprend que si peu sur ses voisins et les langues qu’ils parlent ?

L'auteur

Helen Drake

Helen Drake - Professor of French and European Studies, Loughborough University, UK Membre du comité d’experts internationaux d’Alliance Europa

Helen Drake – Professor of French and European Studies, Loughborough University, UK
Membre du comité d’experts internationaux d’Alliance Europa

itter : @FrancoBrit

Prolongation de l’appel à projet innovants jusqu’au 6 octobre 2017 !

L’appel à projets innovants 2017 d’Alliance Europa est prolongé : envoyez vos candidatures jusqu’au 6 octobre 2017 inclus. Toutes les informations sur le lien ci-dessous.

Voir l'appel à projets

    L’appel à projets innovants

    Les appels à projets innovants ont pour objectif de favoriser l’émergence d’actions innovantes mises en œuvre en partenariat par des acteurs universitaires, de la société civile et du monde socio-économique pour répondre aux défis sociétaux, culturels et politiques que doit relever l’Europe face aux processus de mondialisation. Le projet scientifique de l’Institut trouve son origine […]

    Voir le détail

Catalogne – et après ? Scénario pour une Espagne plurielle

Par Fernando Guirao

La tenue d’un référendum d’autodétermination et la déclaration unilatérale d’indépendance d’une région d’un État membre de l’Union européenne – un État considéré comme véritablement démocratique par la communauté internationale – sont des faits politiques sans précédents historiques valables qui pourraient nous servir de guide pour la suite. Nous serons, littéralement, en terre inconnue ! Plus que quelques jours jusqu’au vote du 1er octobre. Voici le scénario écrit.

Le résultat sera majoritairement en faveur de l’indépendance de la Catalogne. Il est probable que par la suite, la Generalitat de Catalunya proclame la Catalogne comme étant une République en sécession du Royaume d’Espagne. Cette déclaration sera justifiée par l’argument que le peuple catalan forme une nation avec ses institutions propres depuis le XIVè siècle (« droit historique »), par les attaques continues contre l’autonomie des institutions catalanes portées par le gouvernement de l’État central (« iusta causa »), et par le blocage du gouvernement espagnol à canaliser le désir légitime d’autogouvernement du peuple de Catalogne à travers une modalité de « sécession démocratique » à la Québécoise.

La tenue d’un référendum d’autodétermination et la déclaration unilatérale d’indépendance d’une région d’un État membre de l’Union européenne – un État considéré comme véritablement démocratique par la communauté internationale – sont des faits politiques sans précédents historiques valables qui pourraient nous servir de guide pour la suite. Nous serons, littéralement, en terre inconnue !

Paradoxalement, le processus d’indépendance de ce pays démocratique qui s’appelle la Catalogne se produit avec un mépris pour les règles démocratiques les plus essentielles. Il y a beaucoup de personnes en Catalogne qui avancent aujourd’hui que la désobéissance politique et la rébellion légale constituent des instruments légitimes en défense des valeurs démocratiques « dans des moments d’exception ». C’est discutable.

Encore plus lamentable est, à mon avis, le fait que ceux qui ne représentent que 47,8 % des suffrages exprimés lors des dernières élections dotées de garanties démocratiques pleines et entières se soient approprié la représentation « du peuple de la Catalogne ». C’est le 3 août 2015 qu’Artur Mas, alors président de la Generalitat de Catalunya, après avoir convoqué en format plébiscitaire (« nous voulons voter ») les élections législatives régionales qui sont à l’origine de l’actuelle majorité parlementaire en Catalogne, a annoncé que les résultats qui comptaient se mesuraient en sièges et non pas en nombre de votes exprimés ! Le principe sacré de tout référendum en démocratie directe (« une personne, une vote ») a ainsi été sacrifié pour atteindre l’objectif politique visé à court terme. Autrement dit : la fin a justifié les moyens !

Si une démocratie de haute qualité est celle qui empêche les tricheries et combines, la démocratie souveraine Catalane aura été empoisonnée avant sa naissance. Une majorité parlementaire formée par une conjonction de forces politiques radicalement différentes mais liés par le seul objectif d’atteindre la République s’est arrogé un ‘mandat démocratique’ pour subvertir l’ordre constitutionnel. Et pour ce faire, elle utilise les pouvoirs législatifs et les ressources matérielles dont elle dispose en fait grâce à la Constitution espagnole ! Cette subversion comprend la légalité constitutionnelle Espagnole et même la légalité statutaire Catalane.

Pour l’Espagne, la déclaration unilatérale d’indépendance impliquera la fin du statu quo. S’ensuivra très probablement l’avènement de l’autonomie de la Catalogne, mais cette situation sera insoutenable pour le pays au-delà d’une période courte. Une modification de la Constitution espagnole rendant possible une procédure de consultation sur le principe de l’autodétermination, avec le consentement des « Cortes Espagnoles », une fois certaines conditions de représentativité de la part des futurs postulants acquises, semble inévitable.

Entre-temps, il faudra s’employer à séduire à nouveau de nombreux Catalans. Il conviendra d’améliorer de manière significative la maison commune à travers une véritable régénération administrative et pédagogique, ainsi que des réformes ambitieuses dans pratiquement tous les domaines. Il faudra répondre aux demandes légitimes de millions de citoyens catalans, pas dans leur qualité de Catalans, mais en tant que citoyens, justement. La citoyenneté, c’est cette condition précieuse qui provient de la Constitution espagnole et de notre appartenance à l’Union européenne, qui constitue notre cadre de garanties en dernière instance. Les citoyens qui vivent en Catalogne ont besoin de voir blindées les compétences des pouvoirs régionaux sur l’éducation, la langue et la culture, de voir réduit le grave déficit des infrastructures basiques, d’obtenir une pleine capacité de collection d’impôts avec des limites clairement définies pour les transferts entre régions et État, suivant le modèle constitutionnel actuellement en vigueur au Pays Basque et en Navarre. Un pays aussi pluriel comme l’Espagne exige une répartition plus équitable des organismes de l’État sur l’ensemble de son territoire, mais aussi un changement radical de l’attitude du système politique espagnol envers la pluralité.

Tout d’abord, il faut intérioriser que l’autonomie implique de casser l’uniformité sans briser pour autant le principe de l’égalité : tous les citoyens espagnols ont les mêmes droits fondamentaux, mais ils peuvent les atteindre par des voies et des mécanismes différents, en accord avec leurs préférences. Deuxièmement, le système institutionnel espagnol a besoin d’intérioriser enfin un véritable respect pour la diversité culturelle existant en son sein et de normaliser l’utilisation d’autres langues que l’Espagnol castillan dans les institutions de représentation collective, les tribunaux et la télévision publique.

La promotion institutionnelle d’une telle diversité sera le devoir de l’État dans tous ses domaines. Si un certain niveau des connaissances basiques des langues Catalan, Basque et Galicien faisait partie du curriculum partagé par le système scolaire espagnol, tous les citoyens espagnols apprendraient que leur pays est pluriel et grandiraient enrichis par une telle diversité linguistique et culturelle. Même l’accessibilité des chaines publiques des télévisions régionales dans l’ensemble de l’État encouragerait cette appréciation.

Seule une vraie régénération de l’État, comprenant une réforme constitutionnelle majeure, créerait une opportunité d’inventer un nouveau cadre de coexistence entre l’Espagne et les nations qui la composent. Le défi Catalan représente l’échec de l’Espagne comme projet politique partagé par 46 millions d’Espagnols, mais le défi Catalan représente également (un peu comme le Brexit) l’échec d’un certain projet européen qui n’a pas réussi à rendre évidente aux yeux de tous la valeur de la souveraineté partagée.

L'auteur

Fernando Guirao

Professeur d'histoire et chercheur à l'Université Pompeu Fabra de Barcelone. Titulaire d'une chaire Jean Monnet ad personam.

Département d’économie et management de l’Université Pompeu Fabra de Barcelone.

Thème de recherche : « Histoire économique européenne contemporaine. Histoire de l’intégration européenne »

Accueilli à la MSH Ange Guépin du 1er mars au 31 octobre 2016.

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Le labyrinthe catalan

Par Fernando Guirao

Tout le monde s’est perdu dans un labyrinthe. Il y a fort à parier que de nombreux Catalans iront voter le 1er octobre prochain, et que le résultat sera clairement en faveur de l’indépendance de la Catalogne. La vraie question qui importe maintenant est de savoir comment faire pour trouver la sortie du labyrinthe par la suite. Pour comprendre ce qui se passe actuellement en Catalogne, il faut tenir compte de trois circonstances.

Tout d’abord le fait que les représentants légitimes des Catalans dans leurs institutions démocratiques – dès l’avant-projet de l’Estatut (la loi fondamentale) de la Catalogne en 1931, en préambule à l’Estatut de 2006 – ont défini la Catalogne comme une nation sur la base d’une langue, d’une culture et d’institutions propres. Se définir comme nation implique l’exigence d’un certain niveau d’autonomie qui puisse garantir, précisément, la défense des ces traits spécifiques. Mais l’autonomie, pour être efficace dans une démocratie, exige un strict code de conduite. Cela nécessite deux préalables : il est, d’une part, essentiel que l’État à l’intérieur duquel s’exerce l’autonomie régionale respecte l’évolution de celle-ci dans son adaptation à la réalité changeante, et d’autre part, que les organes d’arbitrage qui doivent aborder les inévitables conflits de compétence soient neutres. En même temps, du côté des autorités de l’entité autonome, une véritable fidélité au pacte constitutionnel dont émanent leurs compétences est également essentielle.

Il faut constater qu’aucun de ces commandements fondamentaux n’a été respecté au cours des vingt dernières années.

En second lieu, entre 1978 et 2010, les partis politiques catalans, de tout bord, et l’État central ont interprété conjointement la manière dont la nation catalane s’intégrait dans une Espagne démocratique. Les Estatuts d’autonomie de 1979 et 2006 sont le résultat de cette négociation.

Les limites d’une interprétation commune de l’autonomie de la Catalogne ont éclaté au grand jour en 2010. A ce moment, l’Estatut, qui avait été approuvé par le Parlement de Catalogne, par les Cortes Generales espagnoles et le peuple de la Catalogne à l’occasion d’un référendum populaire légal en juin 2006, a été interprétée par la Cour Constitutionnelle. Dans son arrêt du 28 juin 2010, la Haute Cour a ainsi refusé à la Catalogne le caractère de ‘nation souveraine’ et aux institutions catalanes toute autre légitimité que celle qui émane de la Constitution démocratique espagnole de 1978. Des manœuvres politiques de tout genre avait cependant tellement discrédité cette Cour de sorte que le noyau du débat juridique soulevé, c’est-à-dire, la question de savoir si la source de la légitimité de la souveraineté réside en des « droits historiques » ou en les principes démocratiques conquis collectivement après la dictature, soit passé complètement inaperçue. Le même jour, sans se donner le temps de réflexion sur le contenu de l’arrêt, une manifestation massive, présidée par le président (socialiste) de la Generalitat, a eu lieu à Barcelone sous le slogan « Nous sommes une nation, nous décidons ».

Troisièmement, enfin, le soutien populaire en faveur des forces indépendantistes est passé de 20 % en 2009 à 48 % en 2015. Durant cette période, le discours nationaliste classique propre des forces politiques traditionalistes (« nous sommes différents et, par conséquent, nous méritons un traitement particulier ») est abandonné en faveur d’un discours élaboré et géré par un mouvement social complexe et transversal basé sur les principes de la démocratie directe (« nous voulons décider pour nous-mêmes »). A la même époque, on voit le discours nationaliste, traditionnellement fixé sur la dénonciation permanente des obstacles extérieurs (réels ou imaginaires), être remplacé par un discours construit en positif, beaucoup plus attrayant, qui a réussi à galvaniser une bonne partie de la population catalane. Dire « nous voulons construire un pays nouveau », c’est tout de même autrement plus enthousiasmant que le discours négatif d’avant.

Il ne faut pas oublier qu’en novembre 2012, l’Espagne était sur le bord d’un plan de sauvetage financier, que le taux de chômage approchait les 27 %, que la réduction du financement de l’éducation, de la santé, des services sociaux, ainsi que la menace sur les droits fondamentaux, étaient clairement évidents et inquiétants, comme l’était la corruption touchant tous les niveaux institutionnels de l’État. Jamais, la ‘marque Espagne’ n’avait été moins attrayante ! La grave crise économique, politique et sociale qui a touché l’ensemble de la société espagnole et du système politico-institutionnel espagnol a alimenté, partout dans le pays, une utopie prêt-à-porter festive et passionnante comme un moyen d’échapper à la réalité. Alors que dans le reste de l’Europe, la crise a fait émerger des partis néofascistes, l’Espagne a vu naître de nouvelles forces politiques faisant appel aux citoyens de devenir des agents actifs du changement, soit à travers une réforme de l’ordre politique existant (Ciudadanos) ou par la rupture (Podemos et le mouvement d’indépendance de la Catalogne).

L’affrontement entre la Catalogne et l’Espagne en tant projet partagé n’a rien de naturel, il a été construit sciemment. En fait, le projet politique espagnol du Partido Popular et le projet politique du mouvement indépendantiste catalan ont besoin l’un de l’autre, ils se renforcent mutuellement. Le défi catalan permet au Parti Populaire de s’ériger en défenseur de « l’Espagne », tandis que les formes d’exercer le pouvoir de ce parti, c’est-à-dire sa politique de recentralisation, ses abus de pouvoir et le contrôle partisan des institutions de l’État, permettent au mouvement indépendantiste catalan de dresser le portrait d’une Espagne décadente dont la qualité démocratique est en baisse. Ce qui fait, logiquement, de son propre projet politique une iusta causa. Rappelons que les indépendantistes catalans, quand il y avait l’opportunité de dégager Mariano Rajoy du gouvernement, faisaient partie de la coalition qui a empêché la formation d’une vraie alternative. Le référendum du 1 Octobre a converti M. Rajoy en champion de la démocratie espagnole, après avoir été fortement affaibli par la corruption de son parti et par la répartition socialement injuste des coûts associés à la réponse politique à la crise financière depuis 2012.

Et maintenant ? Tout le monde s’est perdu dans un labyrinthe. Il y a fort à parier que de nombreux Catalans iront voter le 1er octobre prochain, et que le résultat sera clairement en faveur de l’indépendance de la Catalogne. La vraie question qui importe maintenant est de savoir comment faire pour trouver la sortie du labyrinthe par la suite.

Ce sera l’objet de la suite de ce billet demain mardi 26 septembre 2017.

L'auteur

Fernando Guirao

Professeur d'histoire et chercheur à l'Université Pompeu Fabra de Barcelone. Titulaire d'une chaire Jean Monnet ad personam.

Département d’économie et management de l’Université Pompeu Fabra de Barcelone.

Thème de recherche : « Histoire économique européenne contemporaine. Histoire de l’intégration européenne »

Accueilli à la MSH Ange Guépin du 1er mars au 31 octobre 2016.

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Post-doc « Normes et Identifications culturelles de la Citoyenneté en Europe » – candidatez jusqu’au 30 septembre

Dans le cadre de la campagne d’attractivité postdoctorale de l’Université Bretagne Loire et du projet CITER, le CRHIA recrute un post-doctorant contractuel pour 12 mois à compter du 1er décembre 2017.

Le projet CITER, L’Europe et les frontières de la citoyenneté, a pour objectif de renouveler les problématiques sur la citoyenneté européenne en l’abordant à partir de l’histoire de ses marges à la fois juridiques, géographiques, sociales et philosophiques dans une perspective globale et de longue durée. Trois axes principaux structurent le projet :
1. Les citoyennetés européennes dans l’expérience impériale et coloniale
2. Migrations, constructions identitaires, droit des minorités
3. Citoyenneté et cosmopolitisme
Le post-doctorant recruté devra développer un projet de recherche postdoctoral sur une des thématiques du projet CITER.

Date limite de candidature : 30 septembre 2017

 

Informations et modalités pour candidater

#Brexing News 37 : UN DRAME CONSTITUTIONNEL EN QUATRE ACTES

Par Rebecca Zahn et Maria Fletcher

Le résultat du référendum de juin 2016 a préparé la scène pour un drame constitutionnel au sein du Royaume-Uni. Vu le développement du drame, il pourrait mener à son éclatement.

Le décor

Dans le cadre réglementaire actuel de la décentralisation britannique (« devolution »), le Brexit signifie que l’Écosse partira avec le reste du Royaume-Uni, malgré les 62% d’Écossais qui ont voté pour y rester. Ceci dit, la décentralisation stipule aussi que les administrations concernées (écossaises, galloises, nord-irlandaise) sont obligées de respecter le droit européen. Il est dès lors évident que le retrait britannique aura un impact direct et significatif sur tout le dispositif de la décentralisation tel qu’il existe aujourd’hui.

Voilà le décor d’un drame qui, plutôt que de réunir les acteurs dans des dialogues sur scène, ressemble davantage à quatre monologues séparés.

 

Acte premier

Le gouvernement écossais.

Les résultats du référendum ont poussé la First MinisterNicola Sturgeon, à déclaré qu’elle prendra « toutes les mesures nécessaires pour explorer toutes les options afin de respecter le vote des Écossais ». En attendant un hypothétique deuxième référendum sur l’indépendance – qui permettrait, en cas de succès, à l’Écosse de devenir un État-membre de l’UE à part entière – le gouvernement a étudié, comme promis, dans deux exposés de principe intitulés Scotland a European Nation et  Scotland’s Place in Europe respectivement, si et comment l’Écosse pourrait rester dans l’UE sans chercher l’indépendance.

La mise en œuvre d’un tel plan, bien que légalement faisable, exigerait un degré très élevé de volonté politique et de créativité juridique, tant du côté écossais que britannique. Theresa May, cependant, ne semble pas prête à s’engager dans cette direction.

 

Acte II

Le gouvernement de sa Majesté.

Le gouvernement britannique a décidé de faire la sourde oreille aux demandes de leurs homologues d’Édimbourg de respecter la décision des électeurs écossais. Selon ce qu’on peut appeler la « Doctrine May », le gouvernement procède sur la bases de deux présomptions inébranlables : d’abord celle qui part du principe que le Brexit – aussi vaguement défini soit-il – est une décision irréversible. Ensuite celle qui stipule que le gouvernement central de Londres est le seul à pouvoir en définir les contours, les limites et la mise en œuvre.

En janvier, le Discours sur le Brexit de Theresa May, tout comme le Livre Blanc du gouvernement, ont même suscité des doutes sur le futur mandat du gouvernement écossais. Si l’on pouvait présumer que la législation européenne qui rentrait dans les compétences décentralisées serait automatiquement rapatriée dans la législation écossaise, Theresa May a suggéré que seul le parlement britannique serait habilité à décider de toutes futures modifications ou adaptations.

Ainsi la position du gouvernement britannique semble-t-elle, plutôt que de mettre en valeur la décentralisation en vigueur au Royaume-Uni, vouloir revenir sur cet acquis et diminuer les voix des administrations régionales respectives. On s’aperçoit alors que ces dernières n’ont aucun moyen légal de se faire entendre. Il existe certes un dénommé « Joint Ministerial Committee », composé de représentants des différentes administrations, mais il ne donne pas vraiment l’impression d’un forum susceptible d’organiser des discussions sérieuses dans un climat de confiance mutuelle et respect réciproque. Au contraire, vu les enjeux du Brexit, tout semble réuni pour une collision constitutionnelle frontale.


Acte III

La Cour Suprême.

C’est à la Cour Suprême que revient le troisième rôle principal dans notre drame constitutionnel. On se souvient : la Cour fut saisie en janvier pour confirmer que le gouvernement a besoin de solliciter une autorisation explicite du Parlement afin de lui permettre de déclencher le fameux article 50. Ce qui est moins connu, c’est que la Cour devait aussi examiner la « Sewel Convention » qui stipule que le Parlement britannique n’est pas censé légiférer sur des compétences décentralisées sans le consentement du Parlement écossais. Étant donné que le retrait de l’UE a des répercussions immédiates sur des compétences des institutions écossaises – de l’agriculture à la pêche, de la protection environnementale à l’enseignement supérieur et la recherche – ce consentement semblait être essentiel.

La Cour Suprême statua à l’unanimité que la « Sewel Convention » n’était effectivement qu’une « convention », et non pas une obligation juridiquement contraignant. Sans se prononcer sur le fond, la Cour conclut ainsi que les administrations décentralisées n’avaient pas le pouvoir de retarder, voire bloquer, le déclenchement de l’article 50.

Cet arrêt pourrait bien attiser les tensions inhérentes au drame constitutionnel qui se déroule devant nos yeux. D’autant plus que la loi même sur le retrait du Royaume-Uni sera, elle, bien soumise à l’approbation du Parlement écossais à travers ce qu’on appelle une « motion de consentement législatif ». Or, le gouvernement écossais, tout comme le gouvernement gallois, a indiqué son refus de consentement.

 

Acte IV

Le Parlement Britannique.

On a pu dire que l’arrêt de la Cour Suprême a simplement « renvoyé la balle du Brexit dans le camp du Parlement britannique ». Tant la Chambre des Lords que les Communes ont par la suite accordé à la Première ministre le pouvoir de déclencher l’article 50. Le 29 mars 2017, la notification de la part du Royaume-Uni dans ce sens a été adressée à la Commission européenne.

Quel que soit le résultat des négociations, le Parlement britannique aura du pain sur les planches. Il sera amené à rédiger et à adopter une montagne de législations complémentaires dans un laps de temps assez serré.

 

Rideau sur la décentralisation ?

Maintenant que la loi sur le retrait commence à faire son chemin à travers les Parlements concernés, la situation a encore évolué. Les élections anticipées du mois de juin ont laissé le pays avec un Parlement divisé et un chef de gouvernement affaibli. Ce qui a encouragé certains (tant dans la majorité que dans l’opposition) de mettre en cause la position du gouvernement sur le Brexit. En même temps, la position du gouvernement écossais a aussi été affaiblie suite à une perte considérable de sièges.

On l’a compris : la loi sur le Brexit a le potentiel d’apporter des changements fondamentaux à tout l’édifice de la décentralisation à la britannique. Or, cette décentralisation, aussi fragile qu’elle puisse paraître, a bien pénétré, durant les deux décennies depuis sa mise en œuvre, dans le tissu social et politique du Royaume-Uni. Il semble déraisonnable qu’elle soit menacée de s’effondrer – mais vu les performances des différents acteurs de notre drame constitutionnel, il ne faut pas l’exclure. Du moins c’est ce qu’on perçoit du côté nord de la frontière anglo-écossaise.

Note

Ce post est une version condensée d’un chapitre d’ouvrage que les deux auteurs ont publié dans G. Hassan et  R. Gunson, Scotland, the UK and Brexit: A Guide to the Future, Luath Publishing, Edinburgh, 2017. Il sera suivi, courant octobre, par un deuxième regard écossais sur le débat parlementaire de la loi mettant en œuvre le retrait du Royaume-Uni.

Les auteurs

Rebecca Zahn

Rebecca Zahn est maître des conférences en droit à l’Université de Strathclyde, spécialisée dans le droit du travail (national, européen, comparé). Elle est l’auteure de New Labour Laws in Old Member States (CUP, 2017). Elle a été élue Secrétaire de l’UACES et siège également dans le comité de direction du Réseaux des Juristes des Universités Ecossaises (sulne.ac.uk)

Maria Fletcher

Maria Fletcher est maître des conférences en droit européen à l’Université de Glasgow. Sa recherche porte sur la justice pénale  en Europe, ainsi que sur la citoyenneté et l’immigration. Son dernier ouvrage traite de l’UE en tant qu’espace de liberté, de sécurité et de justice (Routledge, 2017). Elle est éditrice associée des « European Papers » (europeanpapers.eu) et co-fondatrice et dirigeante du Réseaux des Juristes des Universités Ecossaises (sulne.ac.uk).

Catalogne : La grande barbichette

Par José Moisés Martin

Le 1er octobre prochain, quelque chose va se passer en Catalogne et, par conséquent, en Espagne. Sauf que personne n’est en mesure de dire ce qui adviendra exactement. Le gouvernement catalan est fermement décidé à tenir un référendum sur l’indépendance de la Catalogne, pendant que le gouvernement central espagnol est tout aussi fermement décidé d’empêcher qui que ce soit d’y participer. L’incertitude est à son comble.

Le 6 septembre dernier, le parlement régional catalan a adopté une loi appelant à un référendum sur le territoire catalan le 1er octobre. Il s’y était engagé depuis son élection en 2015. Le problème de ce texte est que sa mise en œuvre violera nécessairement la Constitution espagnole (et même l’actuelle constitution régionale catalane !). La loi a été adopté après minuit, pendant que l’opposition était en train de quitter le parlement en guise de protestation et que les huissiers du parlement refusaient d’y apposer leur signature. Il est vrai que le parti indépendantiste y occupe la majorité des sièges, mais il représente moins de 50% des électeurs. Les partis d’opposition – Ciudadanos (ALDE), le Parti Populaire (PPE) ou le Parti Socialiste Catalan (S&D) – se sont opposés à cette loi, pendant que les gauchistes du CSQP (GUE-NGL) se montrèrent critique, mais étaient déchirés en interne sur la question.

Depuis cette nuit, l’ensemble des institutions nationales espagnoles s’est sont employée à empêcher ce référendum : la Cour Constitutionnelle a décidé de suspendre la loi concernée ; le Procureur Général a même annoncé des plaintes contre toute personne collaborant à la mise en œuvre de ce vote ; le gouvernement central a annoncé qu’il allait geler les avoirs en banque du gouvernement catalan ; et les différents corps de police (sur le plan national, régional et même local) ont été chargés de poursuivre toute initiative en faveur du référendum, y compris la saisie de toute propagande. En dernier recours, le gouvernement espagnol peut encore déclencher l’article 155 de la Constitution, qui lui permet de carrément suspendre le gouvernement catalan. Ce serait alors un genre de « bombe nucléaire constitutionnelle » qui auraient des conséquences imprévisibles.

Durant cette offensive tous azimuts, le gouvernement catalan poursuit son idée de tenir sa consultation populaire. Il a demandé aux autorités locales de soutenir cette initiative en rendant des bâtiments officiels locaux disponibles en tant que bureaux de vote. D’ores et déjà, à peu près 700 des 900 autorités locales catalanes ont répondu présentes.

Pour le mouvement indépendantiste, le raisonnement est très limpide : pour eux, la Constitution espagnole et la Constitution régionale ne s’appliquent tout simplement plus sur le territoire de la Catalogne. A la place, il y a la loi du référendum ainsi que la « loi de transition » adoptée en même temps, même si les deux ont été suspendues par la Cour Constitutionnelle espagnole. Le gouvernement catalan prétend que ses aspirations sont fondées sur le droit international, mais pour l’instant, aucune organisation internationale ne les a ouvertement soutenues.

Prise en sandwich par cette pagaille politique, la société civile est en train de se briser en deux : tout le monde réclame (et se réclame) de la démocratie, mais visiblement, « démocratie » signifie des choses différentes selon le camp. Pour une moitié des citoyens, la démocratie est le droit de décider soi-même de l’avenir de son pays ; pour l’autre moitié, la démocratie est le respect de l’État de droit.

Cette polarisation est en train de s’approfondir. Bien que la société catalane soit divisée en deux parts presque égales (avec un petit avantage pour les positions non-sécessionnistes), les Catalans non-nationalistes ont le sentiment que leur propre gouvernement ne les prend pas en compte. En même temps, la mobilisation politique des groupes sécessionnistes est tellement plus visible, occupant l’espace et le débat publics. On peut s’estimer heureux que jusqu’ici, il n’y ait pas encore eu de heurts violents dans les rues. Dans le reste de l’Espagne, les partis de la gauche observent avec suspicion les efforts du gouvernement central de réprimer le référendum, critiquant la manière dont Mariano Rajoy aborde à ce défi.

 

Les causes profondes de la situation sont à la fois historiques et cycliques. La Catalogne était habituée à avoir un statut spécial d’auto-gouvernement depuis le Moyen-Age jusqu’au XVIIIe siècle. C’est alors qu’une nouvelle dynastie – les Bourbons – a décidé d’y mettre fin. Durant la Seconde République (de 1931 à 1936), la Catalogne a partiellement pu recouvrir son ancien statut, mais pendant les décennies suivantes, le régime de Franco lui a infligé une répression massive. Au moment de la transition démocratique à la fin des années 1970, un nouveau statut d’autonomie lui a été accordé, mais jamais au même niveau qu’auparavant. Ce n’est qu’en 2006 que la nouvelle Constitution régionale a retrouvé un degré plus élevé d’autonomie, mais le Parti Populaire de Rajoy demanda à la Cour Constitutionnelle de le réviser. Il en résulta une nouvelle diminution de l’auto-détermination, ce qui n’a pas manqué d’exaspérer une majorité de la société catalane.

A côté de ces raisons historiques, des raisons cycliques comptent aussi. La récente crise économique et financière a érodé le compromis politique entre les Catalans et le reste du peuple espagnol. Bien que la plupart des électeurs indépendantistes soit issue des classes moyennes et supérieures, la crise a renforcé les tendances séparatistes parmi eux. Ils prétendent que la Catalogne ne reçoit pas sa part juste de financements pour se développer, alors qu’ils payent plus d’impôts que d’autres régions. Selon des calculs nationalistes, l’écart entre ce que la Catalogne donne au budget national et ce qu’elle en reçoit est de 16 milliards d’Euro par an, alors que des sources non-nationalistes le chiffre autour de seulement deux milliards.

A ce stade, le dialogue, aussi urgent soit-il, n’est plus guère envisageable. On assiste à un grand « Jeu de la Barbichette », dans lequel chaque côté attend que l’autre lâche. Après des années d’une rhétorique publique combative de la part de chaque camp, se montrer prêt à des concessions serait désormais un signe de faiblesse non-excusable. Les dernières opportunités de trouver un arrangement acceptable pour tous ont été gaspillées entre 2006 et 2012. Tel que cela se présente maintenant, l’optimisme n’est plus de mise.

L'auteur

José Moisés Martín

José Moisés Martín est économiste et consultant en politiques publiques, membre du groupe « Les économistes contre la crise » et chroniqueur régulier dans les médias espagnols.