Appel à communications : Conférence : les « classiques » de la philosophie politique et l’intégration européenne

La conférence aura lieu les 20 et 21 janvier 2022, idéalement en présentiel à l’UCLouvain, Belgique. Les papiers sélectionnés pourront faire l’objet d’une publication future au sein d’un numéro spécial dans la revue Politique européenne. Si vous êtes intéressé, merci de faire parvenir une proposition d’intervention de 300 mots pour le 15 septembre à nicolas.arens@uclouvain.be.

« Souveraineté européenne », « Moment hamiltonien » d’un fédéralisme européen, « domination postdémocratique et bureaucratique » ; que produit l’intégration européenne au regard des auteurs et des concepts « classiques » de la théorie politique ?

 

L’objectif principale de cette conférence est de réunir des philosophes, des politologues et des théoriciens de l’Union européenne (UE) afin d’évaluer le recours aux figures « classiques » de la pensée pour saisir le phénomène politique qu’est l’UE –tout en interrogeant cette notion de « classiques ». Si les chercheurs en études européennes ont longtemps qualifié la construction européenne de sui generis (d’un genre propre) celle-ci ne s’est jamais construite ex nihilo, à distance des matériaux politiques, historiques et philosophiques de l’Europe. Au contraire, les questions politiques débattues dans l’UE s’inscrivent dans une continuité entre les systèmes politiques nationaux et européen. L’UE s’est constituée sur cette base et elle est par là l’exportation, à un niveau plus étendu de pouvoir, des débats démocratiques et souverainistes que l’on a traditionnellement rencontré au niveau national. L’intégration européenne nous distancie ainsi de nos évidences politiques –souveraineté, démocratie, fédéralisme/étatisme, etc.– tout en leur donnant un sens nouveau. Dans ce cas, l’intérêt de comprendre l’UE au prisme des philosophes modernes (Hobbes, Locke, Montesquieu, Rousseau, Kant, Publius, etc.) est de saisir l’évolution des concepts politiques et de les interroger dans le contexte européen. En d’autres termes, se référer aux « classiques » nous aide à affuter nos questions et élargir les solutions conceptuelles.

 

La question méthodologique qui traversera la conférence sera de déterminer la place des théoriciens au sein des études européennes. Les philosophes, très tôt engagés sur le thème de l’Europe contemporaine (Husserl 1929, Patočka 1938), sont entrés très tard dans le champ des études européennes. Pour beaucoup, le tournant se situe au moment du Traité de Maastricht : avec sa prétention démocratique annoncée et l’irruption de la citoyenneté européenne, l’UE devient une entité politique et renoue avec les thèmes classiques de constitution, de représentation, de légitimité ou de participation (Bellamy & Castiglione 2003, Bellamy & Lacey, 2017). L’approche normative des études européennes signifie que l’objectif de la théorie de l’UE passe d’un rôle explicatif de l’intégration à un rôle critique de ses résultats (Diez & Wiener, 2019). Dès lors, de manière générale, entre « intempérance » des théoriciens trop critiques (Leca 2015) et « théorie non-idéale », la question générale est celle du lien entre philosophes et recherches pratiques (Friese & Wagner 2002) : par quelle méthode d’actualisation des modernes les philosophes contemporains se rendent-ils audibles des politologues et comment, à l’inverse, ces derniers utilisent-ils de manière cohérente les références théoriques de la philosophie politique ? Est-ce que les figures classiques apparaissent comme des sources d’inspiration, des grilles d’évaluation ou des modèles désuets à dépasser ? Plus précisément, comment les théoriciens de l’UE innovent-ils ou renouvellent-ils les approches théoriques sur la souveraineté, le fédéralisme et la démocratie ?

 

Souveraineté

À quel point l’UE transforme-t-elle le concept de souveraineté et qu’est-ce qui, dans son idée classique, en reste néanmoins valide ? Autrement dit, le terme de « souveraineté européenne » (e.g. Macron) a-t-il un sens ? On peut considérer que l’UE ne remet pas simplement en question la souveraineté, elle permet d’œuvrer plutôt à une « co-souveraineté » (Ferry 2005) qui gère, tel un « faisceau de compétences » (Spector 2020), les pouvoirs centraux des États selon une dynamique spécifique et différentiée, bien au-delà d’un simple régime régulateur (Genschel & Jachtenfuchs 2014, Schimmelfennig & Winzen 2020). Il s’agit d’un renoncement aux « marques » de la souveraineté (absolu, indivisibilité, etc. cf. Hobbes et Rousseau), au profit de la source et de son exercice (Publius). À ce titre, la souveraineté est plutôt comprise comme une série de « revendications au pouvoir » (Walker 2003) potentiellement conflictuelles (Brack et. al. 2019). Est-ce que cela signifie dès lors que la souveraineté n’est qu’un élément discursif pour faire de la politique ou est-ce que la souveraineté demeure malgré tout la marque d’un pouvoir décidant en dernier ressort ? Il convient d’examiner les formes contemporaines de la souveraineté tout en gardant à l’esprit les définitions modernes du concept : quel domaine et quel acteur dans le système politique européen est le plus à même de mobiliser le principe de souveraineté ? Quel modèle normatif est sous-jacent dans les discours des acteurs institutionnels et politiques ? Les sujets tels que la souveraineté numérique, la souveraineté au frontière ou les moyens militaires de l’UE sont aussi de bons points d’entrée pour discuter théoriquement de la souveraineté.

Dans ce panel sur la souveraineté, les comparaisons historiques, les analyse de discours sous l’angle des références théoriques ou les études normatives sur la souveraineté seront particulièrement bienvenues.

 

Fédéralisme

En ce qui concerne ensuite les développements institutionnels de l’UE, il importe de les examiner par rapport aux crises de ces dernières années : assiste-on à une (dés)intégration confédérale de l’UE ? Ou est-ce que les crises, comme on le croit souvent dans l’histoire de l’intégration, ont eu un rôle d’approfondissement qui fait se rapprocher un peu plus l’UE d’une « république fédérative » (Montesquieu) ? Pour le dire simplement, vivons-nous un « moment hamiltonien » ? Ni un État ni une simple confédération, l’intégration européenne au sein de cet entre-deux institutionnel, comme l’étaient les constituants américains (Amiel 2013), innove de différentes manières. Elle s’appuie sur un « sujet constituant mixte » (Habermas 2012, Patberg et al. 2017), elle invite à distinguer les « processus de gouvernement » (Nicolaïdis 2006) et les types d’intergouvernementalisme (Fabbrini 2017). Et, sans viser un État fédéral, l’extension de la fédération est conditionnée par l’acceptation démocratique (Fossum 2017, Balibar 2016). Dans ce contexte, à quel point la dynamique institutionnelle de l’UE étend-elle, ou remet-elle en question, la théorie fédéraliste (Fossum & Jachtenfuchs 2017) ? Le fédéralisme est-il un cadre valable, égarant ou trop restrictif pour comprendre et évaluer l’UE ? Faut-il plutôt compléter cette théorie par d’autres principes comme la subsidiarité, la décentralisation ou la différentiation, afin de saisir plus en profondeur les institutions européennes ?

Dans ce panel, les travaux sur le fédéralisme –son histoire, ses exemples et sa compréhension comme théorie intergouvernementale ou orientée vers un État– sont attendus, autant dans leur dimension appliquée à l’UE que dans les débats théoriques sur la communauté, la démocratie et l’interdépendance. De même, les approches comparatives seront aussi particulièrement pertinentes. Le principe de différentiation, en tant que théorie de la gestion des compétences, pourra également être une entrée originale sur la réalité institutionnelle de l’UE.

 

Démocratie

Finalement, le développement de l’UE mène naturellement à la question de la démocratie. Est-ce que l’UE est un régime « postdémocratique » (Crouch 2000, Habermas 2012) ? Il est clair que l’UE renouvelle la question démocratique à l’aune de la mise en crise qui a traversé les années 2010 du point de vue de la citoyenneté (Lacroix 2012), de la légitimité (Schmidt 2020) et de la représentation (Fossum 2015). La démocratie dans les études européenne a été comprise selon une définition de la communauté qui lie différents demoï (Cheneval & Nicolaïdis 2016, Bellamy 2013), mais aussi en tant qu’une forme de politisation qui est à l’œuvre (De Wielde et al. 2016) tout en affrontant la question du peuple et de la sphère publique à un niveau européen (Deleixhe 2020, Risse 2014). Dans ce contexte, on se demandera à quel principe et à quelle limite de la démocratie il convient de renvoyer pour saisir l’UE politique. D’abord, la démocratie est un principe de légitimité et de justification. Ainsi, comment peut-on articuler la justification procédurale (input-output), avec la légitimité directe qui lie les citoyens aux institutions européennes, et avec la légitimité indirecte qui fonde l’UE sur l’autorité de ses États membres (Lord 2021) ? Plus encore, la démocratie peut être comprise comme une société (Tocqueville), et non simplement comme une entité politique. Dans ce cas, est-ce que l’UE se comprendrait mieux par ses projets communs (White 2010) qui pourraient avoir l’effet de transformer les individus en citoyens puis en citoyens européens ?

Ce panel accueillera des recherches autant pratiques que théoriques sur la légitimité de l’UE post-crise et sur la (dés)affiliation citoyenne avec le projet européen. Les études qui portent sur la mobilisation des philosophes classiques et des principes démocratiques (représentatif, participatif, radical, etc.) dans les discours sur l’Europe sont aussi bienvenues.