Ecrit par Patrick Chaumette professeur de droit à l’université de Nantes, directeur du projet HUMANSEA (ERC).
Le lundi 30 avril 2018, à 14H, s’ouvrait à Angers le concours de procès simulé en Droit International Charles Rousseau, organise par nos collègues les professeures Bérangère TAXIL, spécialiste du droit des réfugiés notamment, et Alina MIRON, spécialiste du droit de la mer notamment. Il s’agit du 15ème colloque annuel en ouverture du Concours Charles Rousseau, organisé par le Réseau Francophone de Droit Internationale (RFDI – http://www.rfdi.net/).
Les thématiques choisies pour le colloque visent à fixer le cadre juridique du secours des réfugiés en mer, ce qui n’exclut pas d’en souligner les lacunes. La participation du TIDM au développement progressif du droit de la mer, et ce, en dépit des limites à sa compétence, fait partie intégrante de la réflexion sur les possibilités de protection des droits des réfugiés en mer. A la suite de l’allocation de bienvenue et de l’introduction générale d’Alina MIRON et de Bérangère TAXIL, Stéphane BROC’H, officier marine marchande, responsable du bureau de Nantes de l’association SOS Méditerranée de Nantes, embarqué sur le navire Aquarius, a présenté son témoignage, ses expériences.
Kiara NERI, université de Lyons III, a introduit l’obligation de secours en mer dans son cadre juridique international. Les naufragés étaient victimes d’une punition divine, souvent dépouillés et achevés. Une Ordonnance de Louis IX de 1221 assure une protection royale aux naufragés. Les lois de Westcapelle ont inspiré les règles de Wisby ; les Rôles d’Oléron prévoient des sanctions contre les assassins de naufragés. La bulle papale d’Alexandre III au XIIème siècle, In Coena Domini, puis celle de Pie V imposent de secourir les naufragés, sous peine d’excommunication. L’ordonnance royale de la marine de 1681 a essayé de refréner l’ardeur des naufrageurs en accentuant la répression par la peine de mort et par son article 11 impose une obligation de sauvetage. De nos jours, l’obligation de secours en mer est prévue par la Convention SOLAS de l’Organisation Maritime Internationale (OMI), la Convention SAR Search and Rescue de Hambourg de 1979, la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer de 1982 (CNUDM, art. 98)2. La Convention SAR a été amendée en 2004, comprenant diverses adjonctions, au chapitre 2 (Organisation et coordination), d’un nouveau paragraphe relatif à la définition des personnes en détresse, au chapitre 3 (Coopération entre États), de nouveaux paragraphes relatifs à l’assistance à prêter au capitaine pour débarquer en lieu sûr les personnes secourues en mer; et au chapitre 4 (Procédures de mise en œuvre), d’un nouveau paragraphe relatif aux centres de coordination de sauvetage entreprenant le processus d’identification des lieux les plus appropriés pour débarquer les personnes trouvées en détresse en mer. Malte n’a pas ratifié cet amendement de 2004. Le paragraphe 3.1.9 lui aurait imposé de débarquer sur son territoire les personnes secourues dans sa zone SRA, qui est assez vaste ; Malte ne souhaite pas assurer l’accueil approprié des migrants et le traitement des demandes d’asile des réfugiés. La Libye n’avait pas jusque là établi ni sa zone SAR, ni son centre de coordination des secours (MRCC). Il faut croiser le droit international et national du sauvetage en mer avec le droit international des réfugiés, le droit international des Droits de l’Homme, le principe du non-refoulement. Il convient de ne pas confondre zone SAR et eaux territoriales de l’Etat côtier, ce que semblent faire les nouveaux garde-côtes, garde-frontières libyens3. Le droit d’être secouru en mer est susceptible d’engager la responsabilité des Etats4.
Marie-Laure BASILIEN-GAINCHE, université Jean Moulin-Lyon III, a analysé L’obligation de non-refoulement en mer. La sécurité des migrants est fondée sur le droit à la vie notamment, qui constitue une obligation absolue. Le Comité des Droits de l’Homme des Nations Unies considère que « les États parties sont tenus de respecter et garantir à tous les individus se trouvant sur leur territoire et à tous ceux relevant de leur compétence les droits énoncés dans le Pacte », ce qui « signifie qu’un État partie doit respecter et garantir à quiconque se trouve sous son pouvoir ou son contrôle effectif les droits reconnus dans le Pacte même s’il ne se trouve pas sur son territoire »5. La Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH) ne reconnaît pas explicitement le devoir des États de porter secours aux personnes en détresse en mer6. Mais, en affirmant en son article 2 § 1 que « Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi », elle consacre explicitement le droit à la vie7. La Convention de Genève du 28 juillet 1951, complétée en 1967 par le Protocole relatif au statut des réfugiés, constitue le document-clé dans la définition du réfugié, ses droits et les obligations légales des Etats. L’article 9 du règlement 656/2014 du Parlement européen du Conseil du 15 mai 2014, établissant des règles pour la surveillance des frontières maritimes extérieures dans le cadre de la coopération opérationnelle coordonnée par Frontex, rappelle l’obligation d’assistance en mer à toute personne en détresse. Ce règlement traite en priorité du contrôle des frontières, secondairement des secours aux migrants. Il n’est pas aisé de savoir si les opérations maritimes conduites ont pour but la détection des tentatives de franchissement illégal des frontières ou l’intervention de recherche et de sauvetage de migrants en danger.
La criminalisation des migrants en mer a été développée par Idil ATAK, professeure adjointe au Department of Criminal Justice and Criminology de Ryerson University à Toronto (Canada), à travers l’exemple des navires Ocean Lady et MV Sun Sea, arrivés l’un en octobre 2009, l’autre en août 2010 à Victoria (Colombie Britannique), chargés de réfugiés tamouls, venus du Sri Lanka. Les autorités canadiennes craignant que les Tigres tamouls cherchent à déplacer leurs réseaux au Canada, d’autant que depuis 10 années, le Sri Lanka est l’un des pays dont sont issus le plus grand nombre de réfugiés accueillis au Canada. Idil ATAK analyse le durcissement de la législation canadienne. Le 26 juillet 2017, la Cour suprême de la Colombie Britannique a reconnu les 4 hommes du navire Ocean Lady non coupables. Ils étaient poursuivis pour avoir orchestré le passage clandestin des migrants sri-lankais. Le juge a notamment cité une décision de la Cour suprême du Canada disant que les personnes fournissant de l’aide humanitaire sont exemptes de condamnations en vertu de la loi sur la traite des personnes. Un parallèle avec la situation actuelle italienne est inéluctable, mais ne sera pas ici développé. La Cour de Cassation italienne a rejeté le 24 avril 2018 la demande de l’ONG allemande Jugend Rettet de lever le séquestre sur leur navire, le Iuventa, qui avait été saisi en août 2017 sur des soupçons d’aide à l’immigration clandestine. Le 16 avril 2018, un juge italien de Raguse (Sicile) a en revanche levé le placement sous séquestre du navire Open Arms d’une ONG espagnole, Proactiva, également soupçonnée d’aide à l’immigration clandestine parce que ses secouristes ont refusé de remettre des migrants aux garde-côtes libyens. Il y a un an, une dizaine de navires d’ONG patrouillaient au large de la Libye. Désormais, il n’en reste plus que deux : l’Aquarius de SOS Méditerranée et Médecins sans Frontières et le Sea-Watch de l’ONG allemande éponyme8
Liesbeth LINJZAAD Juge au Tribunal International du Droit de la Mer, professeure à l’Université de Maastricht, a évoqué « Le TIDM, un forum conveniens ? Repousser les limites de la compétence selon le système de la CNUDM ». Les obligations individuelles, portant notamment sur les capitaines de navire, relèvent des Etats et de leurs législations nationales. Le système de recherche et de sauvetage renvoie aux conventions SOLAS et SAR et aux obligations des Etats côtiers. La CNUDM est silencieuse sur le rôle des navires sous pavillon étranger et sur leurs éventuelles responsabilités. Dans ce cadre, la compétence du TIDM est délicate à envisager. C’est en phase avec la Cour Internationale de Justice et les tribunaux arbitraux, que le TIDM apporte sa contribution au nouvel ordre juridique des mers et des océans. Cela est particulièrement sensible quant au droit de la responsabilité internationale ; ainsi la responsabilité de l’Etat du pavillon résulte d’un manquement à son obligation de « diligence due » concernant les activités de pêche INN menées par les navires battants son pavillon9.
Andrea Gattini, professeur à l’Université de Padoue, envisage Les droits de l’Homme dans la jurisprudence du TIDM. Dans l’affaire Enrica Lexie, qui oppose l’Italie à l’Inde, à propos du sort de deux fusiliers marins italiens, devant les juridictions indiennes, pour avoir tirer sur des pêcheurs indiens et avoir tué deux d’entre eux, dans la ZEE indienne, le TIDM a considéré que « les deux Etats doivent donner effet au concept de « considérations d’humanité », permettant au militaire italien de retourner en Italie pendant la durée de la procédure d’arbitrage, l’Italie acceptant son retour en Inde si la juridiction indienne est retenue compétente ».
Au Mans, les 25 et 26 juin 2018, un colloque « Les droits de l’Homme et la Mer« , a été organisé à la Faculté de Droit, des Sciences Economiques et de Gestion, colloque annuel de la Fondation René Cassin, Institut International des Droits de l’Homme par Hélène RASPAIL. Jean Paul COSTA, ancien président de la Cour Européenne des Droits de l’Homme a présenté la fondation René Cassin et mis en perspective le sujet du colloque. Il a montré tout particulièrement que la relation peu apparente de prime abord entre les droits de l’homme et la mer est en réalité plus subtile qu’elle n’y paraît. Il a mis en relation ces deux idées pour introduire les trois parties du colloque (Espace de liberté, zone de survie, moyen de subsistance). L’actualité méditerranéenne nourrit fortement ces réflexions juridiques.
- Un compte rendu plus détaillé et enrichi (9 pages) « Les réfugiés en mer : droit des réfugiés ou droit de la mer ? », sera mis en ligne sur Neptunus, e.revue Université de Nantes, vol. 24, 2018/3 www.cdmo.univ-nantes.fr [↩]
- Yann TEPHANY, « Migrants à Lampedusa : Condamnation de l’Italie par la CEDH », https://humansea.hypotheses.org/329 – « Sauvetage et migration maritime », 30 octobre 2015, https://humansea.hypotheses.org/369 [↩]
- Patrick CHAUMETTE, « Détournement de la convention SAR ? Sauvetage en mer, code italien de déontologie des ONG et gardes-côtes libyens », 28 août 2018, https://humansea.hypotheses.org/889 [↩]
- Claire SAAS, « La Méditerranée, une zone de non-droit pour les boat people ? », in Maritime areas : control and prevention of illegal traffics at sea – Espaces marins : surveillance et prévention des trafics illicites en mer, P. CHAUMETTE (dir.), Gomylex Ed., Bilbao, 2016, pp. 179-193 – Carole BILLET, « Quelle(s) responsabilités(s) pour l’agence FRONTEX ? », in Wealth and miseries of the oceans: Conservation, Resources and Borders – Richesses et misères des océans : Conservation, Ressources et Frontières, P. CHAUMETTE (dir.), Gomylex Ed., Bilbao, 2018. [↩]
- Comité des droits de l’homme, Observation générale n° 31. La Nature de l’obligation juridique générale imposée aux États parties au Pacte, U.N. Doc. HRI/GEN/1/Rev.7 (2004), 26 mai 2004, § 10. [↩]
- Arnaud MONTAS, « Les migrants maritimes devant la Cour européenne des Droits de l’Homme », in Maritime areas : control and prevention of illegal traffics at sea – Espaces marins : surveillance et prévention des trafics illicites en mer, P. CHAUMETTE (dir.), Gomylex Ed., Bilbao, 2016, pp. 151-163. [↩]
- Marie-Laure BASILIEN-GAINCHE, « Les boat people de l’Europe. Que fait le droit ? Que peut le droit ? », La Revue des droits de l’homme, 9-2016. http://journals.openedition.org/revdh/1838 ; DOI : 10.4000/revdh.1838 [↩]
- Patrick CHAUMETTE, « Détournement de la convention SAR ? Sauvetage en mer, code italien de déontologie des ONG et gardes-côtes libyens », 28 août 2018, https://humansea.hypotheses.org/889 [↩]
- TIDM avis du 2 avril 2015, aff. Demande d’avis consultatif soumise par la Commission sous-régionale des pêches (CSRP) – Nathalie ROS, « Le Tribunal International du Droit de la mer, entre tradition et modernité du règlement judiciaire », Annuaire de Droit Maritime et Océanique, université de Nantes, t. XXXVI, 2018, pp. 97-132 – également Niki ALOUPI, « la jurisprudence du Tribunal International du Droit de la Mer et l’Etat du pavillon », in Guillaume LE FLOC’H (dir.), Les vingt ans du Tribunal International du Droit de la Mer, Pédone, Paris, 2018, pp. 223-244. [↩]
Article publié originalement sur le site d’Human Sea : https://humansea.hypotheses.org/1049