Sauver le projet européen demande de renforcer la concertation entre Etats membres, en donnant plus de pouvoir aux peuples, non pas en les soumettant à une puissance supranationale, explique le professeur de philosophie Jean-Marc Ferry.
Article – Le Monde 27.06.2016
Par Jean-Marc Ferry, titulaire de la chaire philosophie de l’Europe de l’université de Nantes
Fini le temps du « Souriez, c’est européen ! », des appels au « désir d’Europe » et autres refrains d’une berceuse qui ne rassure plus personne. La négociation du « Brexit » – la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne (UE) – ne doit pas retarder l’échéance d’une réforme profonde.
L’heure n’est ni à « se recentrer sur les symboles européens » ni à « franchir le Rubicon fédéral », autant de proclamations intempestives trahissant une cécité aux raisons du rejet et une surdité aux réclamations des opinions publiques.
Les peuples veulent être associés à la définition d’un projet européen. A travers le « non » à l’Europe s’exprime aussi le refus qu’un système intrusif se stabilise au-dessus de la tête des citoyens comme un processus irréversible.
Risque de dislocation
Le « Brexit » présente un aspect paradoxal. Le Royaume-Uni n’appartient en effet ni à la zone euro ni à l’espace Schengen. Il n’avait pas les raisons qu’auraient l’Italie, le Portugal, la Grèce, l’Espagne, la France elle-même de déplorer une confiscation des politiques budgétaires et monétaires. Londres peut s’autoriser des déficits que nous ne pouvons nous permettre, et le pays n’a pas nos motifs de dénoncer un court-circuitage des procédures parlementaires.
Pourtant, les Britanniques se sont estimés victimes d’une gouvernance européenne post-démocratique. Cela doit faire réfléchir. Derrière les mauvaises raisons du « Brexit » parle une bonne : la réclamation d’autonomie civique. C’est l’exigence de se sentir de près ou de loin – plutôt de près que de loin – les auteurs des normes dont ils sont destinataires.